N'en jetons presque plus ! Trions, reprenons, détournons.
L'essentiel est presque bien dit et redit, en long, en large...
Reprenons serré, de travers, à travers.
Par les moyens d'avenir du présent. Pour le présent de l'avenir.
(OTTO)KARL

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2010-06-12

même en peinture

Quand j'ai commencé, j'étais très jeune, à aller dans les expositions de peinture moderne, j'ai vu très vite qu'on y rencontrait deux espèces de gens, dont les uns (devant Carrière ou Renoir, je suppose) rigolaient comme de petites vaches, se tapaient sur la cuisse et donnaient les signes, que je reconnaissais très bien, de la plus vive joie, devant l'hippopotame ou le tapir. Moi, j'étais pour eux, je les trouvais sympathiques. Il me semblait que c'est naturel de s'amuser. Que c'est plus naturel que de garder (comme faisaient les gens de l'autre espèce) une mine morose, et de parler de grandeur morale — devant Carrière — ; ou de joie de vivre — devant Renoir. Ou encore de section d'or (...) Donc, j'étais du côté des gens qui riaient. Je découvris plus tard autre chose.
C'est que les rieurs étaient mécontents de rire, et les gens sombres satisfaits d'être sombres. Voilà qui était plus sérieux. Voilà qui avait l'air d'une erreur tout à fait générale. Quand ils avaient fini de se taper sur la cuisse et de se cogner du coude, les gens joyeux disaient : « On s'est foutu de nous. Je n'y remettrai plus les pieds. Pauvre France. » Mais les gens tristes disaient : « Quelle âme ! Il faudra y amener ton beau-frère. Ah ! Jean dolent avait raison d'écrire... » (...) Et moi j'avais le sentiment qu'ils se trompaient tous, que ç'aurait dû être le contraire, que les gens joyeux auraient dû être satisfaits, et les gens tristes mécontents. Enfin, qu'il y aurait là une sorte d'accord à établir entre eux, une découverte à faire. (...) le fait est que je me trouvais d'accord avec les gens tristes (car enfin je voyais bien qu'ils avaient des raisons, qu'ils expliquaient les choses, qu'ils savaient de quoi il retourne en peinture.) Mais ça ne m'empêchait pas de m'amuser d'abord. De rigoler avec les gens qui rigolaient : d'une dame qui ressemblait à un éléphant ; d'un cheval qui était monté sur un toit ; d'une autre dame qu'on voyait à la fois de face et de profil. Eh bien ! j'étais à la fois de face et de profil, comme cette dame : je rigolais, mais je trouvais ça très beau. Je m'amusais, mais j'étais convaincu. (...) Et j'avais tort, ce n'est pas douteux. Et les événements semblaient, à chaque nouvelle exposition, me donner tort davantage. Car les bons peintres devenaient chaque jour plus sévères, plus stricts, magistraux. De toute évidence, ils savaient quelque chose. Il leur suffisait parfois pour le démontrer, d'une simple petite ligne, d'un fil. Moi, je tenais bon. À la fin, j'en ai été récompensé. Car il a fini par venir des peintres dont on pouvait rire sans les fâcher, qui acceptaient d'être plaisants, et qui étaient tout de même merveilleux. Dont les tableaux n'étaient pas du tout un ministère, ni un théorème, mais une sorte de réjouissance, quelque chose comme une fête publique, une grande farce. (...) Quelle joie ! Naturellement, j'étais content d'avoir (...) eu raison. Il y avait autre chose encore, de plus grave. C'est que je voyais bien que j'avais eu raison avec le monde entier. C'est qu'il est normal, il est même, je voudrais dire, humain que l'art et la peinture en particulier soient une sorte de fête ou de frairie, et ne cessent pas pour autant d'être admirables. Il y a des secrets de ce genre de tous les côtés, et il n'est pas toujours facile de les découvrir.
(J.P.)