On est devenu soi-même imperceptible et clandestin dans un voyage immobile. Plus rien ne peut se passer, ni s'être passé. Plus personne ne peut rien pour moi ni contre moi. Mes territoires sont hors de prise, et pas parce qu'ils sont imaginaires, au contraire : parce que je suis en train de les tracer. Finies les grandes ou les petites guerres, toujours à la traîne de quelque chose. Je n'ai plus aucun secret, à force d'avoir perdu le visage, forme et matière. Je ne suis plus qu'une ligne. Je suis devenu capable d'aimer, non pas d'un amour universel abstrait, mais celui que je vais choisir, et qui va me choisir, en aveugle, mon double, qui n'a pas plus de moi que moi. On s'est sauvé par amour et pour l'amour, en abandonnant l'amour et le moi. On n'est plus qu'une ligne abstraite, comme une flèche qui traverse le vide. Déterritorialisation absolue. On est devenu comme tout le monde, mais à la manière dont personne ne peut devenir comme tout le monde. On a peint le monde sur soi, et pas soi sur le monde.
(G.D.-F.G.)
cf. écran total
« Mille plateaux indique beaucoup de directions dont voici les principales : d’abord une société nous semble se définir moins par ses contradictions que par ses lignes de fuite, [ses échappées, les autonomies qu’elle autorise]. Il y a une autre direction dans Mille plateaux, qui ne consiste plus seulement à considérer les lignes de fuites plutôt que les contradictions, mais les minorités plutôt que les classes [, les collectifs plutôt que les communautés et les grands individus]. Enfin, une troisième direction, qui consiste à chercher un statut des machines de guerre [par rapport à l’appareil d’Etat sédentaire] qui ne se définirait pas du tout par la guerre mais par une certaine manière d’occuper, de remplir l’espace-temps. [Mais à la grande différence que le nomade (celui qui use de la machine de guerre) n’est pas un sédentaire, bien entendu, mais surtout n’est pas un migrant. C’est que le nomade au fond reste attacher à sa terre, produit des mouvements aberrants, si vous préférez il gigote, il se débat, il resiste comme le touaregs dans son désert]. » DzP_233 (Deleuze, Pouprarlers, p. 233).
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