Les expositions universelles transfigurent la valeur d'échange des marchandises. Elle créent un cadre où la valeur d'usage passe au second plan. Elles inaugurent une fantasmagorie où l'homme pénètre pour se laisser distraire. L'industrie du divertissement l'y aide en l'élevant à la hauteur de la marchandise. Il s'abandonne aux manipulations de cette industrie grâce à la jouissance que lui procure son aliénation, par rapport à lui-même et par rapport aux autres.
(W.B.)
Il s’en trouve toujours certains, mieux nés que les autres, qui sentent le poids du joug et ne peuvent se retenir de le secouer, qui ne s’apprivoisent jamais à la sujétion et qui, comme Ulysse cherchait par terre et par mer à revoir la fumée de sa maison, n’ont garde d’oublier leurs droits naturels, leurs origines, leur état premier, et s’empressent de les revendiquer en toute occasion. Ceux-là, ayant l’entendement net et l’esprit clairvoyant, ne se contentent pas, comme les ignorants, de voir ce qui est à leurs pieds sans regarder ni derrière ni devant. (...) Et la servitude les dégoûte, pour si bien qu’on l’accoutre. (...) Mais les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité, ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute grande action. Les tyrans le savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir.
Cette ruse des tyrans d’abêtir leurs sujets n’a jamais été plus évidente que dans la conduite de Cyrus envers les Lydiens, après qu’il se fut emparé de leur capitale et qu’il eut pris pour captif Crésus, ce roi si riche. On lui apporta la nouvelle que les habitants de Sardes s’étaient révoltés. Il les eut bientôt réduits à l’obéissance. Mais ne voulant pas saccager une aussi belle ville ni être obligé d’y tenir une armée pour la maîtriser, il s’avisa d’un expédient admirable pour s’en assurer la possession. Il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et publia une ordonnance qui obligeait les citoyens à s’y rendre. Il se trouva si bien de cette garnison que, par la suite, il n’eut plus à tirer l’épée contre les Lydiens. Ces misérables s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux si bien que, de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils désignaient ce que nous appelons passe-temps, qu’ils nommaient Ludi, par corruption de Lydi.
Tous les tyrans n’ont pas déclaré aussi expressément vouloir efféminer leurs sujets ; mais de fait, ce que celui-là ordonna formellement, la plupart d’entre eux l’ont fait en cachette. Tel est le penchant naturel du peuple ignorant qui, d’ordinaire, est plus nombreux dans les villes : il est soupçonneux envers celui qui l’aime et confiant envers celui qui le trompe. Ne croyez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée, ni aucun poisson qui, pour la friandise du ver, morde plus tôt à l’hameçon que tous ces peuples qui se laissent promptement allécher à la servitude, pour la moindre douceur qu’on leur fait goûter. C’est chose merveilleuse qu’ils se laissent aller si promptement, pour peu qu’on les chatouille. Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. Ce moyen, cette pratique, ces allèchements étaient ceux qu’employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets sous le joug. Ainsi les peuples abrutis, trouvant beaux tous ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui les éblouissait, s’habituaient à servir aussi niaisement mais plus mal que les petits enfants n'apprennent à lire avec des images brillantes.
(E.d.l.B.)
et quand on voit actuellement la pression absolument fantastique et toutes les formes de conditionnement, notamment médiatique, que la plupart des gens subissent, on se dit que pour retrouver une autonomie de jugement, en tant qu'individu, il faut avoir une force de résistance considérable, et effectivement on peut très bien admettre que tout le monde n'a pas cette force de résistance, ou alors : vivre avec l'illusion qu'on l'a !
(postradio)
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