N'en jetons presque plus ! Trions, reprenons, détournons.
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(OTTO)KARL

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2015-03-27

témoign-âge d'être non-mère par stérilisation

Avec le recul, je crois que je l'ai toujours su. Pendant que mes amies jouaient à la poupée, je préférais jouer à l'enseignante, ou alors j'habillais mes Barbies à la fine pointe de la mode et je prétendais qu'elles étaient les femmes les plus puissantes du monde.

À 24 ans, j'ai commencé à demander à mes médecins si je pouvais être stérilisée. Année après année, lors de mon examen médical annuel, je tentais de faire valoir mes arguments, les mêmes que lors des années précédentes. À chaque fois, le médecin me disait que j'étais trop jeune et que ferais-je si jamais je changeais d'idée? Non seulement n'ai-je jamais changé d'idée, mais ma détermination à ne pas avoir d'enfants était plus ferme après chacune de ces visites.

Il faut comprendre que cette décision ne m'est pas venue du jour au lendemain; déjà au lycée j'étais très franche quant à mon désintérêt en ce qui concerne la procréation. C'est aussi à cette époque que j'ai eu droit à mon premier "tu vas changer d'idée" paternaliste, ce qui était d'autant plus choquant que ce commentaire provenait immanquablement des mes amies. C'était comme si, soudainement, mes opinions n'avaient aucune importance, car elles ne correspondaient pas à la vie que toutes les femmes sont censées désirer.
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Puis, une fois arrivée à l'université, mon copain parlait sans cesse de sa place dans la vie en tant que papa. Lorsque je lui ai dit que je préférais une carrière et une vie à une famille, il m'a répondu la même chose que tous les autres avant lui: "tu vas changer d'idée". Alors, à mon tour, je lui demandais sans cesse s'il était prêt à parier son futur bonheur sur la possibilité, incroyablement mince, que je change peut-être d'idée un jour.

Toujours à l'université, je restais en marge lorsque mes consoeurs de sororité se regroupaient dans le sous-sol de notre maison pour discuter des noms qu'elles voulaient donner à leurs futurs enfants. On m'a bien invitée, une fois, à me joindre à la conversation, mais mes idées excentriques m'ont rapidement assuré que cette invitation ne se reproduirait plus. L'une d'entre elles, dont le père était un spécialiste en fertilité, ne s'est pas censurée quand est venu le temps de me laisser savoir ce qu'elle pensait de moi: "Les femmes doivent avoir des enfants. As-tu la moindre idée du nombre de femmes qui donneraient leur vie pour être à ta place?", tandis qu'on pouvait manifestement lire dans le regard des autres filles dans la pièce "il y a quelque chose qui ne tourne pas rond avec elle".

Nul besoin de vous dire que fréquenter des garçons dans la deuxième moitié de la vingtaine a également été une source intarissable d'occasions pour les autres de remettre ma décision en question. Il me semblait prématuré d'aborder la question des enfants lors des quelques premières rencontres, mais, en contrepartie, je trouvais injuste pour cette personne que je cache mes opinions. J'ai alors découvert que les hommes étaient tout aussi critiques que les femmes. J'ai eu droit à des commentaires de la trempe de "t'es complètement perturbée" ou encore le plaidoyer "mais qu'arrivera-t-il avec ta lignée familiale?", en passant par "quel genre de femme veut une telle vie?", sans oublier "ça doit être dû à une enfance traumatisante". D'une part, cette incessante projection de leurs croyances sur moi m'a poussé à vouloir cacher mon désir d'une vie sans enfant, mais de l'autre, j'ai vite constaté que cette opinion agissait comme un filtre très efficace et éliminait de ma vie des hommes avec qui je n'étais de toute façon pas compatible.

Un mois avant mon examen médical annuel, en 2012, j'ai arrêté de prendre mes anovulants. C'était un an jour pour jour avant mon 30e anniversaire, et comme chaque année, j'ai plaidé ma cause durant mon rendez-vous. Ma naturopathe m'a resservi la rengaine habituelle, "Pas avant d'avoir 30 ans".
J'étais furax. Je demandais cette procédure depuis six années sans que jamais mon désir, mes opinions ou mes valeurs ne changent à son sujet. Pourquoi la communauté médicale me refusait-elle le droit d'être stérilisée? J'ai tenté d'argumenter avec elle, faisant valoir le cas de nombreux hommes qui avaient obtenu une vasectomie à l'âge de 21 ans, mais rien n'y faisait. Un sexisme aussi flagrant me mettait dans une colère indicible. Quelle différence y a-t-il entre un homme d'âge adulte qui décide qu'il ne désire pas procréer et une femme du même âge qui prend la même décision? Pourquoi n'ai-je pas le droit de décider ce que je considère être le mieux pour moi? Et pourquoi, je vous le demande, avec les progrès actuels dans le domaine des soins de santé et des droits de la femme, oblige-t-on encore les femmes à se conformer à une définition sociale du modèle selon lequel elles devraient vivre leurs vies? Notre société a commencé à réaliser que le stéréotype de la famille nucléaire est de plus en plus dépassé, mais on continue pourtant à l'imposer, ce qui cause du tort à ceux qui décident de ne pas y adhérer.

Une semaine plus tard, j'ai décidé de faire fi de mon médecin et j'ai commencé à effectuer mes propres recherches sur Internet. Le moment était venu d'aller directement à la source. J'ai pris un rendez-vous de consultation avec une gynécologue qui avait les qualifications pour effectuer cette procédure. Pendant tout le trajet en voiture pour me rendre à ce rendez-vous, je me préparais mentalement et fourbissait tous mes arguments, j'anticipais toutes les questions qu'elle pourrait imaginer me poser. Je m'étais informée au sujet de l'adoption et sur les statistiques sur le nombre d'orphelins dans le monde (153 000 000), les statistiques concernant le taux de satisfaction et de regret chez les femmes ayant opté pour la stérilisation (entre 76 et 98 pour cent de satisfaction contre 7 à 17 pour cent de regret, globalement), et j'avais également pris soin d'apporter mon journal intime des dernières années.

La consultation fut brève. J'ai exposé toutes les recherches que j'avais effectuées au sujet des différentes options qui s'offraient à moi, mon point de vue sur l'adoption si j'en venais à changer d'idée un jour, et tout l'historique derrière ma décision. Dieu merci, malgré mon exposé empreint de nervosité et d'émotivité, je suis tout de même parvenue à exprimer ma position avec suffisamment de passion pour que mon désir me soit accordé. Le rendez-vous pour l'intervention a été fixé à six semaines plus tard. Je ne pourrai jamais oublier le sentiment de soulagement que j'ai ressenti après l'opération. Malgré le fait que j'étais encore passablement groggy à cause des sédatifs, j'ai pris grand soin de remercier chaleureusement chacune des femmes de l'équipe qui avait soutenu ma décision de m'émanciper de la sorte.
C'était il y a deux ans, et, malgré le nombre grandissant de femmes qui ont fait le choix de ne pas avoir d'enfants, je dois encore faire face aux nombreuses questions et aux jugements péremptoires de gens qui me connaissent à peine et qui, visiblement, ne me comprennent pas. (...)

 (source)

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