« le poète doit être plus utile qu'aucun citoyen de sa tribu »
(...)
« S'il s'abaisse, je le vante. S'il se vante, je le vante davantage. » La correction des maximes (...) qui se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu dans Poésies II, ne sont pas de simples retournements ; elles opèrent de véritables détournements de sens, quelquefois à la faveur d'anodins changements de temps ou de ponctuation. Nous nous trouvons ici dans l'espace ténu de ce que marcel duchamp appellera « l'inframince ». La subversion provoquée n'est pas spectaculaire, car elle s'insinue par l'intermédiaire de légères inflexions lexicales ou linguistiques aux limites de la banalité. (...) Ces infimes variations instillées au sein des maximes de ses illustres prédécesseurs sont de véritables explosifs (...) » [qu'] accompagne une volonté de débarrasser la pratique de l'écriture de ses remugles psychologiques. « Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela pour vous. (...) Les sentiments sont la forme de raisonnement la plus incomplète qui se puisse imaginer. « La poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de contorsions contingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie impersonnelle... » (...)
La « poésie impersonnelle » que ducasse appelle désormais de ses voeux est celle-là même qui est à l'oeuvre dans Poésies II. Les ingrédients en sont : une écriture débarrassée des métaphores, des sentiments et de sa soumission au modèle romanesque ; une suite discontinue de maximes « corrigées » et « développées » ; le « plagiat » considéré comme l'un des beaux-arts ; l'entreprise d'une « science distincte de la poésie » ; le tout prenant finalement la forme d'une « publication permanente [qui] n'a pas de prix ». Chacun de ces composants va devenir, au siècle suivant, l'objet des débats les plus passionnés et les plus contradictoires. En effet si cette oeuvre passe quasiment inaperçue de son vivant, elle est au coeur des enjeux éthiques et esthétiques de l'art du XXe siècle. « La poésie doit avoir pour but la vérité pratique » ; « le plagiat est nécessaire » ; « la poésie doit être faite par tous ». Ces maximes ciselées et étincelantes ont été littéralement privatisées par les surréalistes ou transformées en mots d'ordre par les lettristes et les situationnistes.
(...)
Collage, ready-made, cut-up, appropriation, détournement, mixage, sampling : de nombreuses procédures textuelles, visuelles et même sonores du XXe siècle trouvent leur légitimité dans l'oeuvre d'isidore ducasse. La contribution de ce dernier à la pensée contemporaine ne saurait cependant se réduire à ces trouvailles formelles. (...) Si depuis plus de cent ans cette oeuvre contradictoire ne cesse de hanter l'imaginaire occidental, c'est qu'elle est porteuse d'une énergie (d'un vouloir-vivre) qui dépasse le simple champ du style ou de la manière. (...)
Ducasse est dans l'urgence d'en finir une fois pour toute avec les « gémissements poétiques de ce siècle », de rompre définitivement avec la « convention peu tacite entre l'auteur et le lecteur, par laquelle le premier s'intitule malade, et accepte le second comme garde-malade ». Les poésies I attaqueront de front « le doute de ce siècle (mélancolies, douleurs, désespoirs, hennissements lugubres, méchancetés artificielles, orgueils puérils, malédictions cocasses etc., etc.) » tout en « corrigeant dans le sens de l'espoir » les « plus belles poésies de lamartine, de victor hugo, d'alfred de musset, de byron et de baudelaire ». Cette petite brochure (...) constitue à la fois un pamphlet contre l'idéologie romantique et un manifeste pour une pensée esthétique et morale à venir.
Les Chants l'avaient déjà pressenti : les affaires morales sont aussi de simples affaires de mots.
(...)
Affirmer qu'« une vérité banale renferme plus de génie que les ouvrages de dickens, de gustave aymard, de victor hugo, de landrelle », (...) c'est ouvrir le territoire de la sensibilité aux réalités les plus prosaïques, c'est rendre possible le fait qu'une pissotière, une roue de bicyclette ou un porte bouteilles puissent désormais accéder au statut d'oeuvres d'art.
La pratique du plagiat de ducasse est la porte grande ouverte à l'usage du ready-made (...) La contribution de duchamp à l'art est de nous avoir montré, à rebours de toute approche artisanale et romantique, la charge poétique (...), du déjà-là du monde.
(B.M.)
cf. au fond, duchamp, c'est moi
cf. le horschamp duchamp
cf. citétranse
cf. b.a. banalités
cf. lettres mortes
cf. apprendre à nager
(...)
« S'il s'abaisse, je le vante. S'il se vante, je le vante davantage. » La correction des maximes (...) qui se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu dans Poésies II, ne sont pas de simples retournements ; elles opèrent de véritables détournements de sens, quelquefois à la faveur d'anodins changements de temps ou de ponctuation. Nous nous trouvons ici dans l'espace ténu de ce que marcel duchamp appellera « l'inframince ». La subversion provoquée n'est pas spectaculaire, car elle s'insinue par l'intermédiaire de légères inflexions lexicales ou linguistiques aux limites de la banalité. (...) Ces infimes variations instillées au sein des maximes de ses illustres prédécesseurs sont de véritables explosifs (...) » [qu'] accompagne une volonté de débarrasser la pratique de l'écriture de ses remugles psychologiques. « Si vous êtes malheureux, il ne faut pas le dire au lecteur. Gardez cela pour vous. (...) Les sentiments sont la forme de raisonnement la plus incomplète qui se puisse imaginer. « La poésie personnelle a fait son temps de jongleries relatives et de contorsions contingentes. Reprenons le fil indestructible de la poésie impersonnelle... » (...)
La « poésie impersonnelle » que ducasse appelle désormais de ses voeux est celle-là même qui est à l'oeuvre dans Poésies II. Les ingrédients en sont : une écriture débarrassée des métaphores, des sentiments et de sa soumission au modèle romanesque ; une suite discontinue de maximes « corrigées » et « développées » ; le « plagiat » considéré comme l'un des beaux-arts ; l'entreprise d'une « science distincte de la poésie » ; le tout prenant finalement la forme d'une « publication permanente [qui] n'a pas de prix ». Chacun de ces composants va devenir, au siècle suivant, l'objet des débats les plus passionnés et les plus contradictoires. En effet si cette oeuvre passe quasiment inaperçue de son vivant, elle est au coeur des enjeux éthiques et esthétiques de l'art du XXe siècle. « La poésie doit avoir pour but la vérité pratique » ; « le plagiat est nécessaire » ; « la poésie doit être faite par tous ». Ces maximes ciselées et étincelantes ont été littéralement privatisées par les surréalistes ou transformées en mots d'ordre par les lettristes et les situationnistes.
(...)
Collage, ready-made, cut-up, appropriation, détournement, mixage, sampling : de nombreuses procédures textuelles, visuelles et même sonores du XXe siècle trouvent leur légitimité dans l'oeuvre d'isidore ducasse. La contribution de ce dernier à la pensée contemporaine ne saurait cependant se réduire à ces trouvailles formelles. (...) Si depuis plus de cent ans cette oeuvre contradictoire ne cesse de hanter l'imaginaire occidental, c'est qu'elle est porteuse d'une énergie (d'un vouloir-vivre) qui dépasse le simple champ du style ou de la manière. (...)
Ducasse est dans l'urgence d'en finir une fois pour toute avec les « gémissements poétiques de ce siècle », de rompre définitivement avec la « convention peu tacite entre l'auteur et le lecteur, par laquelle le premier s'intitule malade, et accepte le second comme garde-malade ». Les poésies I attaqueront de front « le doute de ce siècle (mélancolies, douleurs, désespoirs, hennissements lugubres, méchancetés artificielles, orgueils puérils, malédictions cocasses etc., etc.) » tout en « corrigeant dans le sens de l'espoir » les « plus belles poésies de lamartine, de victor hugo, d'alfred de musset, de byron et de baudelaire ». Cette petite brochure (...) constitue à la fois un pamphlet contre l'idéologie romantique et un manifeste pour une pensée esthétique et morale à venir.
Les Chants l'avaient déjà pressenti : les affaires morales sont aussi de simples affaires de mots.
(...)
Affirmer qu'« une vérité banale renferme plus de génie que les ouvrages de dickens, de gustave aymard, de victor hugo, de landrelle », (...) c'est ouvrir le territoire de la sensibilité aux réalités les plus prosaïques, c'est rendre possible le fait qu'une pissotière, une roue de bicyclette ou un porte bouteilles puissent désormais accéder au statut d'oeuvres d'art.
La pratique du plagiat de ducasse est la porte grande ouverte à l'usage du ready-made (...) La contribution de duchamp à l'art est de nous avoir montré, à rebours de toute approche artisanale et romantique, la charge poétique (...), du déjà-là du monde.
(B.M.)
cf. au fond, duchamp, c'est moi
cf. le horschamp duchamp
cf. citétranse
cf. b.a. banalités
cf. lettres mortes
cf. apprendre à nager
(...) Jamais je n'ai prétendu révéler du neuf, lancer de l'inédit sur le marché de la culture. Une infime correction de l'essentiel importe plus que cent innovations accessoires. Seul est nouveau le sens du courant qui charrie les banalités.
RépondreSupprimerDepuis le temps qu'il y a des hommes, et qui lisent Lautréamont [isidore ducasse], tout est dit et peu sont venus pour en tirer profit. Parce que nos connaissances sont en soi banales, elles ne peuvent profiter qu'aux esprits qui ne le sont pas.
(Raoul Vaneigem)