N'en jetons presque plus ! Trions, reprenons, détournons.
L'essentiel est presque bien dit et redit, en long, en large...
Reprenons serré, de travers, à travers.
Par les moyens d'avenir du présent. Pour le présent de l'avenir.
(OTTO)KARL

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2011-02-22

la route, la presqu'île, le roi...


Le volume [La Presqu'île] paru en 1970 rassemble trois textes: « La Route », fragment du roman entrepris vers 1953 et resté inachevé; la longue nouvelle qui donne son titre au recueil; et un récit plus bref, « Le Roi Cophetua ». (…)
On ressent dans « La Route » le poids du livre. Parti d’un bel élan, le texte demeure suspendu, sans aboutir ni retourner à son point de départ. (…) La route est à la fois direction et vestige. L’intention humaine y compose avec les forces naturelles du sol et de la végétation, et sa persistance à l’état de trace permet de mesurer le « retour à la sauvagerie ». Suivant ce fil, le texte digresse peu à peu : de la route aux pays traversés, aux hameaux abandonnés qu’elle longe, puis au « dépôt humain très mélangé » qui croise dans ses marges, enfin aux femmes à propos desquelles il esquisse – oubliant le thème du chapitre – une singulière utopie du rapport entre les sexes. (…)
 
« La Presqu’île » prolonge en revanche la veine « réaliste » du Balcon en forêt. La limite atteinte est ici celle de la fiction : un pas de plus et l’on bascule dans l’essai autobiographique. L’intrigue en effet se réduit à une épure : Simon attend Irmgard au train de 12 h 53; comme elle n’arrive pas, il va reconnaître les lieux où il compte l’amener. Il fait le tour de La Presqu’île jusqu’au port de Kergrit, où il vient occuper la chambre de l’Hôtel des Bains. Puis il revient pour le train de 19h53, mais retardé par ses rêveries il se tient un peu loin : « Comment la rejoindre? pensait-il, désorienté. » Simon, qui retrouve les lieux de ses vacances d’enfant, est un double de l’auteur (…)
« La Presqu’île » est le récit du temps vécu de l’intérieur : orienté par l’échéance finale, il ne cesse d’être comprimé par le sentiment d’urgence (je vais être en retard) ou au contraire dilaté par l’euphorie de l’anticipation (j’ai tout le temps). Ce rythme se conjugue à la fois avec les mouvements (rouler, s’arrêter, marcher, se garer, repartir) et avec l’alternance des humeurs : le sentiment d’aise, qui reste la note dominante, est coupé de « menus précipices » dépressifs. (…)

« Le Roi Cophetua » regarde vers le passé plus que vers l’avenir. C’est un texte étrange, dans lequel Gracq semble près de se pasticher lui-même, mais qui ne témoigne pas d’un épuisement de la veine créatrice. (…)  Cette ultime nouvelle est semblable à une conjuration : on y retrouve les traces du Graal, les rapports en triangle, l’attente, et bien d’autres échos de l’œuvre. Mais elle revient sur ce passé pour s’en défaire : c’est à ce prix que Gracq pourra entreprendre des livres où le romancier parle en son propre nom.

1 commentaire:

  1. Marcel Cohen — (...) La Presqu'île : c'est une longue nouvelle, où un homme se contente d'attendre une femme, ça se passe en vacances au bord de la mer et elle était censée arriver par le train du matin, finalement elle arrivera par le train du soir, le héros a donc tout une journée devant lui, à attendre ; et il ne fait qu'attendre ; mais il est évident que lorsqu'on attend on est infiniment plus sensible aux détails et au climat-même dans lequel on attend, que lorsqu'on n'attend rien ! Ce vide, ce grand vide est donc plein d'une foule de petites choses qu'on n'aperçoit pas quand on va à un rendez-vous urgent !
    Alain Veinstein — Donc l'espace entre deux événements.
    M.C. — L'espace entre deux événements, le vide, oui.
    A.V. — De même qu'il y a l'espace entre deux textes (...) et, pour y revenir et revenir à cette neutralité dont vous parliez, bon ça signifie qu'il y a pas de scénario, on l'a compris, un scénario général du livre, il y a pas de psychologie des personnages, il y a pas de rebondissements, pour ainsi dire pas d'action... (...)
    M.C. — Je crois que il est important que le lecteur puisse rebondir très vite hors du texte, et il est évident que plus le texte est sophistiqué sur le plan de l'écriture, plus il est « joli » – entre guillemets, au mauvais sens du terme –, (...) et plus on risque de rester englué dans ce texte. J'aime bien qu'on puisse rebondir très vite, exactement comme au ping-pong on renvoie immédiatement la balle, sans la garder. Je crois aussi que si on ne reste pas englué dans le texte, le blanc qui suit, enfin la destination de ce blanc est très claire, c'est au lecteur qu'il appartient de meubler ce blanc ! Et par conséquent, d'écrire ce qu'on pourrait appeler entre guillemets un « roman », un vrai roman ! J'estime qu'un texte serait parfaitement réussi si le lecteur voyait des choses qui ne sont pas du tout dans le texte mais qui lui paraissent absolument évident[es] ! Ce que les linguistes appellent l'imagerie et qui est le contraire de l'imagination : l'imagination c'est apporter des choses qui ne sont pas du tout dans le texte, l'imagerie c'est tirer les conséquences de ce qui est écrit.

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