Quand je tâche de saisir d'un seul regard mes expériences d'enfant, il me semble que je les vois conduites par deux sentiments : l'un est que la vie est une aventure très longue et presque infinie. Qu'elle est, à vrai dire, l'aventure la plus longue que connaisse chacun de nous (ce qui est d'ailleurs évident mais paradoxal pourtant). Qu'il n'y a donc pas à se presser. Que nous arriverons, avec de la patience, à tout savoir. Qu'une seule année, un jour, une heure peuvent offrir une richesse d'événements presque inconcevable et qu'entre toutes les sottises que nous pouvons imaginer, il n'en est pas de plus sotte que celle qui consiste à penser (ou tout au moins à dire) que la vie est courte.
Il s'y joignait ce sentiment — absurde, il se peut — que si nous n'observons pas assez, ou assez bien, les événements qui passent, c'est par crainte de manquer de temps, de ne pouvoir pousser jusqu'au bout l'observation ni l'expérience. Donc que c'est par peur que nous nous contentons la plupart du temps de réflexions imparfaites ou d'observations controuvées. Mais c'est là une peur que dissipe (me disais-je) la plus légère réflexion.
Depuis j'ai vieilli, mais j'ai fermement gardé ce sentiment. Même je m'étonne quand je vois les savants tenter d'expliquer cette impression — qui serait, à les entendre, courante — que les jours et les heures semblent à l'enfant passer avec une grande lenteur, mais au vieillard très vite.
(J.P.)
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