Mais il arrive que des gens très simples [la] tiennent : des ouvriers, des paysans. Cela leur fait une vie passionnante. Au lieu qu´un intellectuel est très exposé à s´ennuyer. Ce serait peu : cela leur fait une vie véridique. Au lieu qu´un intellectuel comme vous et moi, est extrêmement exposé à glisser d´erreur en erreur. Car enfin nous avons saisi un nouveau caractère de cette merveille : c´est qu´elle n´est pas tellement naturelle et spontanée. Nous tenons très bien la vérité tant que nous ne la considérons pas – tant que nous ne cherchons pas à la regarder de trop près.
[On ne peut pas éviter de la perdre.] Tout ce qu´on peut attendre, c´est qu´en poussant l'enquête assez loin, assez patiemment, elle se reformera en nous (...). Si un peu de réflexion nous écarte de la merveille, beaucoup de réflexion nous y ramène : la reconstitue en nous, lui fait son lit. Pour le reste, je suppose que la seule solution est de la garder en nous, sans trop y songer, bien entendu sans la dire. Comme une sorte de secret. Imaginez quelqu´un qui saurait l´avenir. Il voit autour de lui les hommes qui s´agitent, qui bavardent, qui font des projets. Et lui prend part aux projets, aux causeries, à l´agitation. Mais en même temps il sait à quoi s´en tenir : quels sont ceux des projets qui aboutiront, ceux des hommes qui ressembleront à leurs propos ; dans quel abîme d´insignifiance et d´oubli vont se précipiter les amours, les décisions, les rêves, les ordres. Eh bien, nous sommes tous cet homme-là. Nous en savons même bien plus que lui. Nous n´avons même pas besoin de savoir ce qui arrivera. Nous savons ce qui existe, et qui est quelque chose de beaucoup plus fantastique et merveilleux que tout ce qui peut arriver encore. Ou plutôt nous savons que tout ce qui arrivera n´est qu´une autre forme, un autre accident de cette terrible réalité. C´est mieux que si nous le savions par avance. Nous savons comment nous le comprendrons. Nous savons dès maintenant ce que ce sera pour nous.
(J.P.)
> philosofi!
> demeurer cochon ?
[On ne peut pas éviter de la perdre.] Tout ce qu´on peut attendre, c´est qu´en poussant l'enquête assez loin, assez patiemment, elle se reformera en nous (...). Si un peu de réflexion nous écarte de la merveille, beaucoup de réflexion nous y ramène : la reconstitue en nous, lui fait son lit. Pour le reste, je suppose que la seule solution est de la garder en nous, sans trop y songer, bien entendu sans la dire. Comme une sorte de secret. Imaginez quelqu´un qui saurait l´avenir. Il voit autour de lui les hommes qui s´agitent, qui bavardent, qui font des projets. Et lui prend part aux projets, aux causeries, à l´agitation. Mais en même temps il sait à quoi s´en tenir : quels sont ceux des projets qui aboutiront, ceux des hommes qui ressembleront à leurs propos ; dans quel abîme d´insignifiance et d´oubli vont se précipiter les amours, les décisions, les rêves, les ordres. Eh bien, nous sommes tous cet homme-là. Nous en savons même bien plus que lui. Nous n´avons même pas besoin de savoir ce qui arrivera. Nous savons ce qui existe, et qui est quelque chose de beaucoup plus fantastique et merveilleux que tout ce qui peut arriver encore. Ou plutôt nous savons que tout ce qui arrivera n´est qu´une autre forme, un autre accident de cette terrible réalité. C´est mieux que si nous le savions par avance. Nous savons comment nous le comprendrons. Nous savons dès maintenant ce que ce sera pour nous.
(J.P.)
> philosofi!
> demeurer cochon ?
« Qu’est-ce qu’un écrivain ? c’est peut-être le plus artificiel des hommes, celui qui n’éprouve, n’entend, ne voit rien qu’il ne songe aussitôt à le transporter dans un livre, à l’utiliser littérairement. »
RépondreSupprimer(Paul Léautaud, Journal littéraire, 11 février 1906)