N'en jetons presque plus ! Trions, reprenons, détournons.
L'essentiel est presque bien dit et redit, en long, en large...
Reprenons serré, de travers, à travers.
Par les moyens d'avenir du présent. Pour le présent de l'avenir.
(OTTO)KARL

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2010-02-21

de la lecture sans lecture à l'écriture sans écriture

Expérimentez, n'interprétez jamais.
(G.D.)
(...) ce qui importe, c’est moins l’expression que l’impression. Un livre de philosophie, c’est à la fois un livre difficile mais c’est aussi un livre tout à fait accessible, une boîte à outils formidablement ouverte pourvu qu’à ce moment on en ait besoin, envie. [Il] offre des effets de connaissance...
(G.D.)
Il y a des auteurs, il y a des penseurs... Traitez-les comme des grands peintres. (...) en philosophie il y a autant de création qu’ailleurs, c’est comme la peinture, c’est comme la musique.
(G.D.)
(...) les bonnes manières de lire aujourd’hui, c’est d’arriver à traiter un livre comme on écoute un disque, comme on regarde un film ou une émission télé, comme on reçoit une chanson : tout traitement du livre qui réclamerait pour lui un respect spécial, une attention d’une autre sorte, vient d’un autre âge et condamne définitivement le livre. Il n’y aucune question de difficulté ni de compréhension : les concepts sont exactement comme des sons, des couleurs ou des images, ce sont des intensités qui vous conviennent ou non, qui passent ou ne passent pas. Pop’philosophie. Il n’y a rien à comprendre, rien à interpréter. (...) Proust dit : « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres tous les contresens qu’on fait sont beaux. » C’est la bonne manière de lire : tous les contresens sont bons, à condition toutefois qu’ils ne consistent pas en interprétations, mais qu’ils concernent l’usage du livre, qu’ils en multiplient l’usage, qu’ils fassent encore une langue à l’intérieur de sa langue.
(G.D.)
(...) le seul problème est « est-ce que ça fonctionne, et comment ça fonctionne ? » Comment ça fonctionne pour vous ? Si ça ne fonctionne pas, si rien ne passe, prenez donc un autre livre. Cette autre lecture, c’est une lecture en intensité : quelque chose passe ou ne passe pas. Il n’y a rien à expliquer, rien à comprendre, rien à interpréter. C’est du type branchement électrique. (...) Cette autre manière de lire (...) rapporte immédiatement un livre au Dehors. Un livre, c’est un petit rouage dans une machinerie beaucoup plus complexe extérieure. Écrire, c’est un flux parmi d’autres, et qui n’a aucun privilège par rapport aux autres, et qui entre dans des rapports de courant, de contre-courant, de remous avec d’autres flux, flux de merde, de sperme, de parole, d’action, d’érotisme, de monnaie, de politique, etc.
(G.D.)

C´est tout simple, écrire. On bien c´est une manière de se re-territorialiser, de se conformer à un code d´enoncés dominants, à un territoire d´état de choses établies : non seulement les écoles et les auteurs, mais tous les professionnels d´une écriture même non littéraire. Ou bien, au contraire, c´est devenir, devenir autre chose qu´écrivain, puisque, en même temps, ce qu´on devient devient autre chose qu´écriture. Tout devenir ne passe pas par l´écriture, mais tout ce qui devient est objet d´écriture, de peinture ou de musique. Tout ce qui devient est une pure ligne, qui cesse de représenter quoi que ce soit. (...) On trace une ligne, et d´autant plus forte qu´elle est abstraite, si elle est assez sobre et sans figures. (...) Ca veut dire écrire comme un rat trace une ligne, ou comme il tord sa queue, comme un oiseau lance un son, comme un félin bouge, ou bien dort pesamment.
(G.D.)

Je crois qu'il faut avoir une conscience artisanale dans ce domaine. De même qu'il faut bien faire un sabot, il faut bien faire un livre. Cela vaut d'ailleurs pour n'importe quel paquet de phrases imprimées, que ce soit dans un journal ou une revue. Pour moi, l'écriture n'est rien d'autre que cela. Elle doit servir au livre. Ce n'est pas le livre qui sert cette grande entité, si sacralisée maintenant, que serait « l'écriture ». (...)
Mais il y a aussi le fait que, si on veut qu'il devienne un instrument dont d'autres pourront se servir, il faut que le livre fasse plaisir à ceux qui le lisent. Ça me paraît être le devoir élémentaire de celui qui livre cette marchandise ou cet objet artisanal : il faut que ça puisse faire plaisir ! (...)
Que des trouvailles ou des astuces de style fassent plaisir à celui qui écrit, et à celui qui lit, je trouve ça très bien. Il n'y a aucune raison que je me refuse ce plaisir, de même qu'il n'y a pas de raison que j'impose de s'ennuyer à des gens dont je souhaite qu'ils lisent mon livre. Il s'agit de parvenir à quelque chose d'absolument transparent au niveau de ce qui est dit, avec tout de même une espèce de surface de chatoiement qui fasse qu'on ait plaisir à caresser le texte, à l'utiliser, à y repenser, à le reprendre. C'est ma morale du livre.
Mais ce n'est pas, encore une fois, « de l'écriture ». Je n'aime pas l'écriture. Etre écrivain me paraît véritablement dérisoire. Si j'avais à me définir, à donner de moi une définition prétentieuse, si j'avais à décrire cette espèce d'image qu'on a à côté de soi, qui à la fois ricane et puis vous guide malgré tout, alors je dirais que je suis un artisan, et aussi (...) une sorte d'artificier. Je considère mes livres comme des mines, des paquets d'explosifs... Ce que j'espère qu'ils sont !
Dans mon esprit, ces livres ont à produire un certain effet, et pour cela il faut mettre le paquet, pour parler vulgairement. Mais le livre doit disparaître par son effet même, et dans son effet même. « L'écriture » n'est qu'un moyen, ce n'est pas le but. (...)
J'imaginerai plutôt mes livres comme des billes qui roulent. Vous les captez, vous les prenez, vous les relancez. Et si ça marche, tant mieux. (...)
[Pour moi, écrire] n'est absolument pas une nécessité. Je n'ai jamais considéré que c'était un honneur que d'écrire ou un privilège, ou quoi que ce soit d'extraordinaire. Je dis souvent : ah, quand viendra le jour où je n'écrirai plus ! Ce n'est pas le rêve d'aller au désert, ou simplement à la plage, mais de faire autre chose que d'écrire. Je le dis aussi en un sens plus précis, qui est : quand est-ce que je me mettrai à écrire sans qu'écrire soit « de l'écriture » ? Sans cette espèce de solennité qui sent l'huile.
Les choses que je publie, elles sont écrites, au mauvais sens du terme : ça sent « l'écriture ». Et quand je me mets au travail, c'est de « l'écriture », ça implique tout un rituel, toute une difficulté. Je me mets dans un tunnel, je ne veux voir personne, alors que j'aimerais au contraire avoir une écriture facile, de premier jet. Et ça, je n'y arrive absolument pas. Et il faut le dire, parce que ce n'est pas la peine de tenir de grands discours contre « l'écriture » si on ne sait pas que j'ai tant de mal à ne pas « écrire » quand je me mets à écrire. Je voudrais échapper à cette activité enfermée, solennelle, repliée sur soi qui est pour moi l'activité de mettre des mots sur le papier. (...)
Le plaisir que j'y prends est tout de même très opposé à ce que je voudrais que soit l'écriture. J'aimerais que ce soit un truc qui passe, qu'on jette comme ça, qu'on écrit sur un coin de table, qu'on donne, qui circule, qui aurait pu être un tract, une affiche, un fragment de film, un discours public, n'importe quoi... Encore une fois, je n'arrive pas à écrire ainsi. Bien sûr, j'y ai mon plaisir, je découvre des petits trucs, mais je n'ai pas plaisir à prendre ce plaisir.
J'éprouve à son égard un sentiment de malaise, parce que je rêverais d'un tout autre plaisir que celui, bien familier, de tous les gens qui écrivent. On s'enferme, le papier est blanc, on n'a aucune idée, et puis, petit à petit, au bout de deux heures, ou de deux jours, ou de deux semaines, à l'intérieur même de l'activité d'écrire, un tas de choses sont devenues présentes. Le texte existe, on en sait beaucoup plus qu'avant. On avait la tête vide, on l'a pleine, car l'écriture ne vide pas, elle remplit. De son propre vide on fait une pléthore. Tout le monde connaît ça. Ça ne m'amuse pas !
[Je rêve d’] Une écriture discontinue, qui ne s'apercevrait pas qu'elle est une écriture, qui se servirait du papier blanc, ou de la machine, ou du porte-plume, ou du clavier, comme ça, au milieu de tas d'autres choses qui pourraient être le pinceau ou la caméra. Tout ça passant très rapidement de l'un à l'autre, une sorte de fébrilité et de chaos (...)
mais il me manque cette espèce de je-ne-sais-quoi de fébrilité ou de talent, les deux sans doute. Finalement, je suis toujours renvoyé à l'écriture. Alors je rêve de textes brefs. Mais ça donne toujours de gros livres ! Malgré tout, je rêve toujours d'écrire un genre de livre tel que la question : « D'où ça vient ? » n'ait pas de sens. Je rêve d'une pensée vraiment instrumentale. Peu importe d'où elle vient. Ça tombe comme ça. L'essentiel, c'est qu'on ait entre les mains un instrument avec lequel on va pouvoir aborder la psychiatrie, ou le problème des prisons. (...)
L'individualité, l'identité individuelle sont des produits du pouvoir. C'est pour cela que je m'en méfie, et que je m'efforce de défaire ces pièges.
La seule vérité de l'« Histoire de la folie », ou de « Surveiller et punir », c'est qu'il y ait des gens qui s'en servent, et se battent avec. C'est la seule vérité que je cherche. La question « D'où est-ce que ça vient ? est-ce que c'est marxiste ? » me paraît finalement une question d'identité, donc une question policière. (...)
S'il y a chez Marx des choses vraies, on peut les utiliser comme instruments sans avoir à les citer, les reconnaîtra qui veut bien ! Ou qui en est capable... (...)
Pourtant, c'est bien de guerre qu'il s'agit, puisque mon discours est instrumental, comme sont instrumentales une armée, ou simplement une arme. Ou encore un sac de poudre, ou un cocktail Molotov. Vous voyez, cette histoire d'artificier, on y revient.
(M.F.)

cf. compris c'est compris
cf. à l'intellecteur parfait
cf. devenir-bête-intellectuelle

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