Mais ces incertitudes me tuaient ; cette situation était affreuse. Bien des fois je songeai à en sortir, violemment et à brûler ma maison pour n'avoir pas la peine de la mettre en ordre, selon l'originale expression de Rousseau. Heureusement pour moi que le suicide n'avait pas encore été mis à la mode par des exemples fameux, et je ne savais pas que se tuer fût un moyen de trouver un éditeur. Je continuai donc à traîner plusieurs mois, au milieu du tumulte de Paris, mon découragement ennuyé. Quelques tentatives nouvelles, nonchalamment essayées pour faire jouer des pièces et placer des manuscrits, restèrent sans succès et achevèrent de m'abattre. Enfin je tombai malade.
Alors mon âme fatiguée se reprit à de vieux souvenirs. Je commencai à regretter sérieusement ma brumeuse et verte Bretagne, et le mal du pays, dont le germe avait peut-être toujours été au fond de mes découragements, me saisit avec énergie. Mon séjour à Paris, lié au souvenir de tant de désappointements, me devint insupportable. Enfin un jour, plus triste qu'à l'ordinaire, et pris d'une sorte de crise maladive, je courus rue du Bouloy, je trouvai une diligence qui partait pour ma province, et, sans plus réfléchir, je m'y jetai, laissant à Paris mes malles, mes livres, mes espérances, et faisant banqueroute à la gloire.
J'arrivai au pays tout fiévreux et tout meurtri de mes défaites. Je fus long-temps avant de pouvoir me remettre et revenir au calme d'autrefois. J'étais comme ces marins inexpérimentés qui ont mis pied à terre avec le mal de mer, et qui longtemps après sentent encore le tangage du navire qu'ils ont quitté. Je sentais toujours autour de moi ce roulis du grand monde qui m'avait un instant étourdi ; j'éprouvais un reste de nausées, de dégoût et de colère ; j'avais comme une réminiscence du mal de Paris. Mais ces palpitations angoisseuses se calmèrent peu à peu. Je secouai les désolantes pensées sur lesquelles j'avais couché mon esprit comme sur un lit de souffrance. Alors commença pour moi une de ces convalescences morales qui ravivent et recolorent la vie. Le printemps venait de naître, et la Bretagne m'apparut dans toute sa virginale beauté. J'allai me plonger dans ses coulées ombreuses, m'asseoir à l'ombre de ses menhirs gigantesques, et j'éprouvai quelque chose de ce que dut ressentir le premier homme lorsqu'il se réveilla dans l'enchantement de son être et de la vue de l'univers qui venait d'éclore. Bientôt tout ce qu'il y avait de poétique et de neuf dans cette nature me frappa. J'admirai cette Bretagne que je n'avais jusque là considérée qu'avec le regard inattentif de l'habitude. C'était une parente près de laquelle j'avais grandi sans remarquer ses traits, et qu'après une absence je retrouvais avec surprise pleine d'un charme étrange et inaperçu. Peut-être aussi qu'au sortir de la société factice et travaillée dans laquelle j'avais roulé quelques mois, sa poétique individualité me frappa davantage. Toujours est-il que je fus saisi pour elle d'une amitié soudaine, pareille à celle qui vous prendrait pour un frère avec lequel vous auriez longtemps vécu sans intimité, et qu'une douleur imprévue, un épanchement subit, vous révélerait tout-à-coup. Je me livrai avec bonheur à l'entraînement de cette passion naissante. J'étais dans ces dispositions d'une âme enfiévrée et encore toute vibrante d'une exaltation tombée, qui portent naturellement aux enthousiasmes et aux romanesques résolutions. Je fis de mon nouveau sentiment une affection entière et profonde, une sorte de religion. Toute l'effervescence de ma volonté, portée jusqu'alors vers d'autres objets, se concentra dans cet attachement. C'était un but trouvé à mes efforts, un point d'appui pour le levier de mon intelligence. Je m'y arrêtai ; je me mis à aimer la Bretagne ainsi que j'aurais pu le faire d'une femme, et je résolus de la faire connaître dans ses secrets mérites, dans ses charmes les plus suaves et les plus ignorés. Mes études commencèrent, et je les continuai sans interruption. Mais en même temps que j'avais trouvé une occupation pour mon esprit, j'avais aussi découvert l'assiette qui convenait à ma vie. Retiré dans un travail de poésie analytique, éloigné du bruit de l'arène et n'en espérant plus les couronnes, je me trouvai tout-à-coup le cœur léger et joyeux. J'avais rencontré ma place et mon nid ; je m'y couchai heureux en rabattant mes ailes voyageuses. J'avais compris où je devais vivre désormais.
Je continuai pourtant mon travail (...). Je mis alors plus d'ordre dans mes recherches, plus de philosophie dans mes déductions. Entièrement remis du premier engouement qui m'avait porté à ces études, je résolus de ne marcher qu'avec une consciencieuse réserve. (...)
Quant à la forme donnée à mon travail ...
(E.S.)
cf. presqu'insulaire
cf. oùh ! la province ?
Alors mon âme fatiguée se reprit à de vieux souvenirs. Je commencai à regretter sérieusement ma brumeuse et verte Bretagne, et le mal du pays, dont le germe avait peut-être toujours été au fond de mes découragements, me saisit avec énergie. Mon séjour à Paris, lié au souvenir de tant de désappointements, me devint insupportable. Enfin un jour, plus triste qu'à l'ordinaire, et pris d'une sorte de crise maladive, je courus rue du Bouloy, je trouvai une diligence qui partait pour ma province, et, sans plus réfléchir, je m'y jetai, laissant à Paris mes malles, mes livres, mes espérances, et faisant banqueroute à la gloire.
J'arrivai au pays tout fiévreux et tout meurtri de mes défaites. Je fus long-temps avant de pouvoir me remettre et revenir au calme d'autrefois. J'étais comme ces marins inexpérimentés qui ont mis pied à terre avec le mal de mer, et qui longtemps après sentent encore le tangage du navire qu'ils ont quitté. Je sentais toujours autour de moi ce roulis du grand monde qui m'avait un instant étourdi ; j'éprouvais un reste de nausées, de dégoût et de colère ; j'avais comme une réminiscence du mal de Paris. Mais ces palpitations angoisseuses se calmèrent peu à peu. Je secouai les désolantes pensées sur lesquelles j'avais couché mon esprit comme sur un lit de souffrance. Alors commença pour moi une de ces convalescences morales qui ravivent et recolorent la vie. Le printemps venait de naître, et la Bretagne m'apparut dans toute sa virginale beauté. J'allai me plonger dans ses coulées ombreuses, m'asseoir à l'ombre de ses menhirs gigantesques, et j'éprouvai quelque chose de ce que dut ressentir le premier homme lorsqu'il se réveilla dans l'enchantement de son être et de la vue de l'univers qui venait d'éclore. Bientôt tout ce qu'il y avait de poétique et de neuf dans cette nature me frappa. J'admirai cette Bretagne que je n'avais jusque là considérée qu'avec le regard inattentif de l'habitude. C'était une parente près de laquelle j'avais grandi sans remarquer ses traits, et qu'après une absence je retrouvais avec surprise pleine d'un charme étrange et inaperçu. Peut-être aussi qu'au sortir de la société factice et travaillée dans laquelle j'avais roulé quelques mois, sa poétique individualité me frappa davantage. Toujours est-il que je fus saisi pour elle d'une amitié soudaine, pareille à celle qui vous prendrait pour un frère avec lequel vous auriez longtemps vécu sans intimité, et qu'une douleur imprévue, un épanchement subit, vous révélerait tout-à-coup. Je me livrai avec bonheur à l'entraînement de cette passion naissante. J'étais dans ces dispositions d'une âme enfiévrée et encore toute vibrante d'une exaltation tombée, qui portent naturellement aux enthousiasmes et aux romanesques résolutions. Je fis de mon nouveau sentiment une affection entière et profonde, une sorte de religion. Toute l'effervescence de ma volonté, portée jusqu'alors vers d'autres objets, se concentra dans cet attachement. C'était un but trouvé à mes efforts, un point d'appui pour le levier de mon intelligence. Je m'y arrêtai ; je me mis à aimer la Bretagne ainsi que j'aurais pu le faire d'une femme, et je résolus de la faire connaître dans ses secrets mérites, dans ses charmes les plus suaves et les plus ignorés. Mes études commencèrent, et je les continuai sans interruption. Mais en même temps que j'avais trouvé une occupation pour mon esprit, j'avais aussi découvert l'assiette qui convenait à ma vie. Retiré dans un travail de poésie analytique, éloigné du bruit de l'arène et n'en espérant plus les couronnes, je me trouvai tout-à-coup le cœur léger et joyeux. J'avais rencontré ma place et mon nid ; je m'y couchai heureux en rabattant mes ailes voyageuses. J'avais compris où je devais vivre désormais.
Je continuai pourtant mon travail (...). Je mis alors plus d'ordre dans mes recherches, plus de philosophie dans mes déductions. Entièrement remis du premier engouement qui m'avait porté à ces études, je résolus de ne marcher qu'avec une consciencieuse réserve. (...)
Quant à la forme donnée à mon travail ...
(E.S.)
cf. presqu'insulaire
cf. oùh ! la province ?
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