... la semaine astrologique d'un hebdomadaire comme Elle, par exemple. Contrairement à ce que l'on pourrait en attendre, on n'y trouve nul monde onirique, mais plutôt une description étroitement réaliste d'un milieu social précis, celui des lectrices du journal. Autrement dit, l'astrologie n'est nullement — du moins ici — ouverture au rêve, elle est pur miroir, pure institution de la réalité.
Les rubriques principales du destin (Chance, Au-dehors, Chez vous, Votre coeur) produisent scrupuleusement le rythme total de la vie laborieuse. L'unité en est la semaine, dans laquelle la « chance » désigne un jour ou deux. La « chance », c'est ici la part réservée de l'intériorité, de l'humeur ; elle est le signe vécu de la durée, la seule catégorie par laquelle le temps subjectif s'exprime et se libère. Pour le reste, les astres ne connaissent rien d'autre qu'un emploi du temps : Au-dehors, c'est l'horaire professionnel, les six jours de la semaine, les sept heures par jour de bureau ou de magasin. Chez vous, c'est le repas du soir, le bout de soirée avant de se coucher. Votre coeur, c'est le rendez-vous à la sortie du travail ou l'aventure du dimanche. Mais entre ces « domaines », aucune communication : rien qui, d'un horaire à l'autre puisse suggérer l'idée d'une aliénation totale ; les prisons sont contiguës, elles se relaient mais ne se contaminent pas. Les astres ne postulent jamais un renversement de l'ordre, ils influencent à la petite semaine, respectueux du statut social et des horaires patronaux.
Ici, le « travail » est celui d'employées, de dactylos ou de vendeuses ; le microgroupe qui entoure la lectrice est à peu près fatalement celui du bureau ou du magasin. Les variations imposées, ou plutôt proposées par les astres (car cette astrologie est théologienne prudente, elle n’exclut pas le libre arbitre) sont faibles, elles ne tendent jamais à bouleverser une vie : le poids du destin s'exerce uniquement sur le goût au travail, l'énervement ou l'aisance, l'assiduité ou le relâchement, les petits déplacements, les vagues promotions, les rapports d'aigreur ou de complicité avec les collègues et surtout la fatigue, les astres prescrivant avec beaucoup d'insistance et de sagesse de dormir plus, toujours plus.
Le foyer, lui, est dominé par les problèmes d'humeur, d'hostilité ou de confiance du milieu ; il s'agit bien souvent d'un foyer de femmes, où les rapports les plus importants sont ceux de la mère et de la fille. La maison petite-bourgeoise est ici fidèlement présente, avec les visites de la « famille », distincte d'ailleurs des « parents par alliance », que les étoiles ne paraissent pas tenir en très haute estime... Cet entourage semble à peu près exclusivement familial, il y a peu d'allusions aux amis, le monde petit-bourgeois est essentiellement constitué de parents et de collègues, il ne comporte pas de véritables crises relationnelles, seulement de petits affrontements d'humeur et de vanité. L'amour, c'est celui du Courrier du coeur ; c'est un « domaine » bien à part , celui des « affaires » sentimentales. Mais tout comme la transaction commerciale, l'amour connaît ici des « débuts prometteurs », des « mécomptes » et de « mauvais choix ». Le malheur y est de faible amplitude : telle semaine, un cortège d'admirateurs moins nombreux, une indiscrétion, une jalousie sans fondement. Le ciel sentimental ne s'ouvre vraiment grand que devant la « solution tant souhaitée », le mariage : encore faut-il qu'il soit « assorti ».
Un seul trait idéalise tout ce petit monde astral, (...) l'humanité astrologique roule sur son salaire mensuel : il est ce qu'il est, on n'en parle jamais, puisqu'il permet la « vie ». Vie que les astres décrivent beaucoup plus qu'ils ne la prédisent ; l'avenir est rarement risqué, et la prédiction toujours neutralisée par le balancement des possibles : s'il y a des échecs, ils seront peu importants, s'il y a des visages rembrunis, votre belle humeur les déridera, des relations ennuyeuses, elles seront utiles, etc. ; et si votre état général doit s'améliorer, ce sera à la suite d'un traitement que vous aurez suivi, ou peut-être aussi grâce à l'absence de tout traitement (...).
Les astres sont moraux, ils acceptent de se laisser fléchir par la vertu: le courage, la patience, la bonne humeur, le contrôle de soi sont toujours requis face aux mécomptes timidement annoncés. Et le paradoxe, c’est que cet univers du (...) déterminisme est tout de suite dompté par la liberté du caractère : l’astrologie est avant tout une école de volonté. Pourtant, même si les issues en sont de (...) mystification, même si les problèmes de conduite y sont escamotés, elle reste institution du réel devant la conscience de ses lectrices : elle n’est pas voie d'évasion mais évidence réaliste des conditions de vie de l’employée, de la vendeuse.
À quoi donc peut-elle servir, cette pure description, puisqu’elle ne semble comporter aucune compensation onirique ? Elle sert à exorciser le réel en le nommant. A ce titre, elle prend place parmi toutes les entreprises de semi-aliénation (ou de semi-libération) qui se donnent à tâche d’objectiver le réel, sans pourtant aller jusqu’à le démystifier. On connaît bien au moins une autre de ces tentatives nominalistes : la Littérature, qui, dans ses formes dégradées, ne peut aller plus loin que nommer le vécu ; astrologie et Littérature ont la même tâche d’institution " retardée " du réel: l’astrologie est la Littérature du monde petit-bourgeois.
(R.B.)
cf. l'aliénation bonus « psy »
Les rubriques principales du destin (Chance, Au-dehors, Chez vous, Votre coeur) produisent scrupuleusement le rythme total de la vie laborieuse. L'unité en est la semaine, dans laquelle la « chance » désigne un jour ou deux. La « chance », c'est ici la part réservée de l'intériorité, de l'humeur ; elle est le signe vécu de la durée, la seule catégorie par laquelle le temps subjectif s'exprime et se libère. Pour le reste, les astres ne connaissent rien d'autre qu'un emploi du temps : Au-dehors, c'est l'horaire professionnel, les six jours de la semaine, les sept heures par jour de bureau ou de magasin. Chez vous, c'est le repas du soir, le bout de soirée avant de se coucher. Votre coeur, c'est le rendez-vous à la sortie du travail ou l'aventure du dimanche. Mais entre ces « domaines », aucune communication : rien qui, d'un horaire à l'autre puisse suggérer l'idée d'une aliénation totale ; les prisons sont contiguës, elles se relaient mais ne se contaminent pas. Les astres ne postulent jamais un renversement de l'ordre, ils influencent à la petite semaine, respectueux du statut social et des horaires patronaux.
Ici, le « travail » est celui d'employées, de dactylos ou de vendeuses ; le microgroupe qui entoure la lectrice est à peu près fatalement celui du bureau ou du magasin. Les variations imposées, ou plutôt proposées par les astres (car cette astrologie est théologienne prudente, elle n’exclut pas le libre arbitre) sont faibles, elles ne tendent jamais à bouleverser une vie : le poids du destin s'exerce uniquement sur le goût au travail, l'énervement ou l'aisance, l'assiduité ou le relâchement, les petits déplacements, les vagues promotions, les rapports d'aigreur ou de complicité avec les collègues et surtout la fatigue, les astres prescrivant avec beaucoup d'insistance et de sagesse de dormir plus, toujours plus.
Le foyer, lui, est dominé par les problèmes d'humeur, d'hostilité ou de confiance du milieu ; il s'agit bien souvent d'un foyer de femmes, où les rapports les plus importants sont ceux de la mère et de la fille. La maison petite-bourgeoise est ici fidèlement présente, avec les visites de la « famille », distincte d'ailleurs des « parents par alliance », que les étoiles ne paraissent pas tenir en très haute estime... Cet entourage semble à peu près exclusivement familial, il y a peu d'allusions aux amis, le monde petit-bourgeois est essentiellement constitué de parents et de collègues, il ne comporte pas de véritables crises relationnelles, seulement de petits affrontements d'humeur et de vanité. L'amour, c'est celui du Courrier du coeur ; c'est un « domaine » bien à part , celui des « affaires » sentimentales. Mais tout comme la transaction commerciale, l'amour connaît ici des « débuts prometteurs », des « mécomptes » et de « mauvais choix ». Le malheur y est de faible amplitude : telle semaine, un cortège d'admirateurs moins nombreux, une indiscrétion, une jalousie sans fondement. Le ciel sentimental ne s'ouvre vraiment grand que devant la « solution tant souhaitée », le mariage : encore faut-il qu'il soit « assorti ».
Un seul trait idéalise tout ce petit monde astral, (...) l'humanité astrologique roule sur son salaire mensuel : il est ce qu'il est, on n'en parle jamais, puisqu'il permet la « vie ». Vie que les astres décrivent beaucoup plus qu'ils ne la prédisent ; l'avenir est rarement risqué, et la prédiction toujours neutralisée par le balancement des possibles : s'il y a des échecs, ils seront peu importants, s'il y a des visages rembrunis, votre belle humeur les déridera, des relations ennuyeuses, elles seront utiles, etc. ; et si votre état général doit s'améliorer, ce sera à la suite d'un traitement que vous aurez suivi, ou peut-être aussi grâce à l'absence de tout traitement (...).
Les astres sont moraux, ils acceptent de se laisser fléchir par la vertu: le courage, la patience, la bonne humeur, le contrôle de soi sont toujours requis face aux mécomptes timidement annoncés. Et le paradoxe, c’est que cet univers du (...) déterminisme est tout de suite dompté par la liberté du caractère : l’astrologie est avant tout une école de volonté. Pourtant, même si les issues en sont de (...) mystification, même si les problèmes de conduite y sont escamotés, elle reste institution du réel devant la conscience de ses lectrices : elle n’est pas voie d'évasion mais évidence réaliste des conditions de vie de l’employée, de la vendeuse.
À quoi donc peut-elle servir, cette pure description, puisqu’elle ne semble comporter aucune compensation onirique ? Elle sert à exorciser le réel en le nommant. A ce titre, elle prend place parmi toutes les entreprises de semi-aliénation (ou de semi-libération) qui se donnent à tâche d’objectiver le réel, sans pourtant aller jusqu’à le démystifier. On connaît bien au moins une autre de ces tentatives nominalistes : la Littérature, qui, dans ses formes dégradées, ne peut aller plus loin que nommer le vécu ; astrologie et Littérature ont la même tâche d’institution " retardée " du réel: l’astrologie est la Littérature du monde petit-bourgeois.
(R.B.)
cf. l'aliénation bonus « psy »
Je ne sais pas si vous lisez l'horoscope... moi, je le consulte tous les matins.
RépondreSupprimerIl y a huit jours... je vois dans mon horoscope : " Discussion et brouille dans votre ménage. "...
Je vais voir ma femme. Je lui dis : " Qu'est-ce que je t'ai fait ? ", " Rien ! "," Alors... pourquoi discutes-tu ? ".
Depuis, on est brouillé !
Ce matin, je lis dans mon horoscope : " Risques d'accidents ".
Alors, toute la journée, au volant de ma voiture, j'étais comme ça... à surveiller à droite... à gauche... rien !
Rien !... Je me dis : " Je me suis peut-être trompé ".
Le temps de vérifier dans le journal qui était sur la banquette de ma voiture... Paf ! ... ça y était !
Le conducteur est descendu... II m'a dit : " Vous auriez pu m'éviter ! ", " Pas du tout, c'était prévu ! ",
" Comment ça ? ", " L'accident est déjà dans le journal ! ",
"Notre accident est déjà dans le journal ? ", " Le vôtre, je ne sais pas ! Mais le mien y est ! ",
"Le vôtre, c'est le mien ! ", " Oh !... Eh !... une seconde !... Vous êtes né sous quel signe, vous ?",
" Balance ! ", " Balance ? " Je regarde Balance ! Je dis : " Ah ben non ! Vous n'avez pas d'accident !... Vous êtes dans votre tort mon vieux ! ",
Il y a un agent qui est arrivé... il m'a dit : " Vous n'avez pas vu mon signe ? ",
"Prenez le journal ! Regardez ! Je ne vais pas regarder le signe de tout le monde ! ".
(R.D.)