Vercors dédie [son livre
Le Silence de la mer] à Saint-Pol-Roux, « Poète assassiné ». Saint-Pol-Roux est un écrivain, vieil homme qui meurt de chagrin en 1940 quand son manoir contenant tous ses textes inédits est pillé, peu après qu'un soldat allemand a violé sa fille et tué sa servante. Tout comme
Le Silence de la mer veut évoquer une résistance muette au bord des cris, cet homme qui meurt brisé, presque futilement, est le symbole même de la lutte silencieuse de Vercors.
Saint-Pol-Roux, ami de Jean Moulin et de Max Jacob, est mort en décembre 1940 à l'hôpital de Brest six mois après qu'un soldat allemand ivre eut forcé la porte de son manoir, tué sa servante et violé sa fille, Divine (le viol fut réfuté par la suite).
Dans la nuit du 23 au 24 juin 1940, un soldat allemand investit le manoir, tue la fidèle gouvernante et blesse grièvement sa fille, Divine, à la jambe, d'une balle de révolver. Il sera souvent dit et écrit que le soldat viola Divine, chose qu'elle réfuta par la suite. Saint-Pol-Roux échappe miraculeusement à la mort. Le soldat allemand s'enfuit, effrayé par le chien de la maison, [il] fut arrêté, condamné à mort par un Conseil de guerre et fusillé.
Saint-Pol-Roux, qui était à Brest pour s'occuper de sa fille suite à ce méfait, avait négligé de mettre ses inédits en lieu sûr. Lorsqu'il retourna à Camaret, il trouva le manoir livré au pillage et ses manuscrits déchirés, dispersés ou brûlés : il ne se remit pas de ce second choc. Transporté le 13 octobre à l'hôpital de Brest, Saint-Pol-Roux « le Magnifique », « mage de Camaret », atteint d'une crise d'urémie, y meurt de chagrin le 18 octobre [1940].
[Son] « manoir de Coecilian » fut bombardé en août 1944 par les avions alliés et complètement incendié. Il ne reste, de nos jours, que quelques vestiges de cette demeure.
En 1882, Saint-Pol-Roux (natif de Marseille) part s'installer à Paris et commence des études de droit, qu'il ne terminera jamais. Il fréquente en particulier le salon de Stéphane Mallarmé pour qui il a la plus grande admiration. Il gagne une certaine notoriété, essaie quelques pseudonymes et signe à partir de 1890 « Saint-Pol-Roux ». Il tente de faire jouer une de ses pièces,
la Dame à la faux, par Sarah Bernhardt. Il est même interviewé par Jules Huret, en tant que membre du mouvement symboliste. Il aurait peut-être participé à la Rose-Croix esthétique de Péladan. Mais il n'y appartient pas très longtemps, car il ne figure pas parmi les signataires sur l'original du document. Saint-Pol-Roux s'est sans doute intéressé à cette audacieuse tentative littéraire, et a dû la quitter rapidement. En 1891, il rencontre sa future femme, Amélie Bélorgey. À cause de difficultés financières, Saint-Pol-Roux quitte Paris.
Son exil l'amènera d'abord à Bruxelles, avant qu'il ne trouve une retraite paisible dans les forêts d'Ardenne. C'est là, en toute tranquillité, qu'il terminera sa
Dame à la faux. Après un court retour à Paris, Saint-Pol-Roux quitte la capitale définitivement en 1898.
Il exécra rapidement la capitale pour son ostracisme et la médiocrité du milieu de la critique littéraire, qu'il ignora avec autant de superbe qu'elle le méconnut.
Il s'installe ensuite avec sa femme à Roscanvel dans le Finistère, où naît sa fille Divine. La « chaumière de Divine » devenue trop petite, il s'installe à Camaret-sur-Mer et fait de la Bretagne le centre de gravité de son œuvre.
Il profite des subsides que lui avait assurés un opéra, Louise, dont il avait rédigé pour Gustave Charpentier le livret. Il acheta en 1903 une maison de pêcheur surplombant l'océan, au-dessus de la plage de Pen-Had, sur la route de la pointe de Pen-Hir. Il la transforme en manoir à huit tourelles dont la maison formerait le centre et baptisa la demeure « Manoir du Boultous ». À la mort de son fils Coecilian, mort en 1914 près de Verdun, il le renommera « Manoir de Coecilian » dont on peut encore voir les ruines.
Il reçoit de nombreux artistes et écrivains comme André Antoine, Victor Ségalen, Alfred Vallette, Max Jacob, André Breton, Louis-Ferdinand Céline et même, en 1932, Jean Moulin, alors sous-préfet de Châteaulin. Les membres du mouvement surréaliste le considèrent comme un prédécesseur. André Breton publia son "Hommage à Saint-Pol-Roux" le 9 mai 1925 dans Les Nouvelles Littéraires, où il revendiqua Saint-Pol-Roux comme le seul authentique précurseur du mouvement dit moderne.
Saint-Pol-Roux représente l'archétype du « poète oublié ». C'est à ce titre qu'André Breton lui dédie le recueil
Clair de terre (ainsi qu'à « ceux qui comme lui s'offrent le magnifique plaisir de se faire oublier ») et que Vercors lui dédie Le
Silence de la mer (« le poète assassiné »).
De son vivant même, son œuvre restait méconnue, pourtant il a été célébré aussi bien par les symbolistes (notamment Rémy de Gourmont) que les surréalistes (qui donneront un banquet à la Closerie des lilas en son honneur en 1925, lequel tourna au pugilat et dont Saint-Pol-Roux s'enfuit, effrayé).
À partir de la Libération, Divine tentera en vain que l'oubli ne se fasse pas sur l'œuvre de son père. Malgré les études de Michel Décaudin, la parution d'un volume dans la collection "Poètes d'aujourd'hui" chez Seghers et les émissions de Jean-Pierre Rosnay à la radio, où il fit dire quelques-un de ses poèmes, Saint-Pol-Roux reste largement méconnu.
Saint-Pol-Roux a tenté de créer une œuvre d'art totale. Ce rêve de la littérature symboliste, consistait à créer une œuvre parfaite répondant à tous les sens. Saint-Pol-Roux s'était donc intéressé au genre théâtral et à l'opéra, pendant ses années parisiennes. A la fin de sa vie, il s'émerveille des possibilités artistiques offertes par le cinéma.
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