• La vitalité a l'attrait de la beauté, et, chez Lawrence il y avait une fontaine continuellement jaillissante de vitalité. Elle ne cessait de sourdre en lui...
• Mais la conversation passionnée de Lawrence était topographiquement lointaine, et personnellement très proche. Des horreurs toutes proches - la guerre, l'hiver, la ville - il se refusait à parler. Car il était sur le point, croyait-il, d'aller établir cette colonie d'évasion à laquelle, jusqu'à la fin, il n'a cessé de rêver. (...) Ce qui importait, c'était Lawrence lui-même, c'était le feu qui brûlait en lui, et qui rayonnait d'un éclat si étrange et si merveilleux dans presque tout ce qu'il écrivait.
Dans un journal intime que je tiens régulièrement, je lis cette note à la date du 27 décembre 1927. « Déjeuné et passé l'après-midi avec les Lawrence. D.H.L. très en forme, cause merveilleusement. Il est une des rares personnes pour qui je sens vraiment du respect et de l'admiration. Pour la plupart des autres hommes éminents que j'ai rencontrés, je sens, du moins, que j'appartiens à la même race. Mais Lawrence a quelque chose de différent et de supérieur en qualité, non en quantité.
Différent et supérieur en qualité. Je crois que presque tous ceux qui l'ont connu ont dû sentir que Lawrence était cela. Un être, comment savoir, d'un autre ordre, plus sensible, plus profondément conscient, plus capable de sentir que même les plus doués des hommes ordinaires. Il avait, sans doute, ses faiblesses et ses défauts. Il avait ses limites intellectuelles — limites qu'il semblait s'être délibérément imposées. (...)
Être avec Lawrence était une espèce d'aventure, un voyage de découvertes dans un monde neuf et différent. Car, étant lui-même d'un ordre différent, il habitait un univers différent de celui des hommes vulgaires, un monde plus intense et plus éclatant, dont, au cours de sa conversation, ils nous faisaient les honneurs. Il regardait les choses, semble-t-il, de l'oeil d'un homme qui avait été aux portes de la mort, et pour qui, à mesure qu'il émerge des ténèbres, le monde se révèle insondablement beau et mystérieux. Pour Lawrence, la vie était une incessante convalescence ; c'était comme si, chaque jour de son existence, il renaissait d'une maladie mortelle. Ce que ses yeux convalescents voyaient, ces paroles les plus insignifiantes vous le révélaient. Une promenade avec lui dans la campagne était une promenade à travers ce paysage miraculeusement riche et chargé de sens qui est à la fois l'arrière-plan et le personnage principal de tous ses romans. Il paraissait savoir, par expérience personnelle, ce que signifiait être un arbre, ou une pâquerette, où une vague qui se brise, ou même la lune mystérieuse. Il pouvait entrer dans la peau d'un animal et vous dire, avec les détails les plus convaincants, ce qu'il sentait, et comment, obscurément, inhumainement, il pensait. De Suzanne-à-l'Oeil-Noir, par exemple, la vache de son ranch au Nouveau-Mexique, il ne se lassait pas de parler, pas plus que je ne me lassais d'écouter la description de son caractère et de sa philosophie bovine.
« Il voit, me disait un jour Vernon Lee, plus qu'un être humain ne devrait voir. Peut-être, ajouta-t-elle,
est-ce pourquoi il déteste tant l'humanité. » C'est pourquoi, aussi, il l'aimait tant.
(A.H.)
• Les relations humaines constituent la matière première de l'oeuvre de D.H. Lawrence, par l'intensité avec laquelle elles révèlent la circulation d'énergie entre les êtres humains. Nourri de rencontres et à la fois profondément solitaire — de la solitude du visionnaire et du misanthrope en même temps, (...) Lawrence erre, se frotte à d'autres peuples, d'autres climats, et son regard toujours pénétrant en retire des observations d'une grande sagacité sur l'autre culturel et l'autre amical, sans jamais que son périple ne le satisfasse ni ne le conduise à adhérer au monde. Cette insatisfaction imprègne également ses rapports humains, placée sous le double signe d'une empathie profonde et d'un esprit critique acéré (...).
(...) Fougueux et emporté dans ses lettres comme dans son oeuvre et dans sa vie, Lawrence qui nous apparaît ici est tranchant et vulnérable à la fois, incapable de ne pas déchaîner sa véhémence contre ses proches tout en ayant (...) besoin de leur soutien et de leur affection. (...)
Car Lawrence lutte avant tout contre lui-même : « La seule aventure est une question de lutte intérieure avec soi-même. » Or Lawrence est las de la « vie intérieure », il fustige ce narcissisme délétère chez M. comme ferment de faiblesse (...) « D'une façon ou d'une autre, vous n'avez pas été assez homme. » Lawrence s'immisce dans la vie intime de ses amis, (...) avec une âpreté déconcertante : c'est comme si, dès lors qu'il avait reconnu en eux une étoffe proche de la sienne, la frontière qui les séparait s'était dissoute, l'autorisant à émettre des conseils qui sonnent parfois comme autant de jugements. Ce faisant, il passe outre à la réserve habituellement observée entre amis. Mais il le sait, et agit ainsi par conviction qu'il peut « aider les gens à avoir foi ». (...)
« Autrement dit, les lettres qu'il aimait à écrire ou à lire était celles qui se gardaient de l'ennui et diffusaient une sorte d'énergie vitale. » (...) Lawrence se soucie très peu des formes épistolaires et, là comme dans son oeuvre, rejette les jougs qui pèsent habituellement sur cette forme d'expression. Cet impératif l'amène parfois à outrepasser les limites de ce qu'il est possible de dire à un ami, peut-être car on ne devrait pas non plus se le dire à soi-même. À trop vouloir changer les autres et le monde, on n'en vient parfois à ne pas se ménager suffisamment. « Je suis un être fastidieux pour moi-même et pour les autres. » Tant il est vrai que l'on ne peut rien pour autrui qu'il ne veuille d'abord pour lui-même. Ainsi, l'idéal d'une vie commune est venu heurter l'affirmation courageuse de la vie en soi que Lawrence encourage chez ses proches, selon des lignes qu'il dicte parfois de façon autoritaire. Cette tendance cohabitant toujours avec un profond renoncement à la volonté, car « la vie et par elle-même source de vie », et une acceptation émerveillée de ce qui est . (...) « (...) Il me semble que tout ce qu'il écrit (...) a de l'importance. Et, en somme, ce que nous lui reprochons est encore un signe de vie. C'est un homme vivant. »
• Ne faisant pas de distinction entre l'art et la vie, Lawrence veut être porteur de renouveau en art mais surtout faire advenir le « nouveau » dans la trame même de la vie. (...)
(E.A.)
• Mais la conversation passionnée de Lawrence était topographiquement lointaine, et personnellement très proche. Des horreurs toutes proches - la guerre, l'hiver, la ville - il se refusait à parler. Car il était sur le point, croyait-il, d'aller établir cette colonie d'évasion à laquelle, jusqu'à la fin, il n'a cessé de rêver. (...) Ce qui importait, c'était Lawrence lui-même, c'était le feu qui brûlait en lui, et qui rayonnait d'un éclat si étrange et si merveilleux dans presque tout ce qu'il écrivait.
Dans un journal intime que je tiens régulièrement, je lis cette note à la date du 27 décembre 1927. « Déjeuné et passé l'après-midi avec les Lawrence. D.H.L. très en forme, cause merveilleusement. Il est une des rares personnes pour qui je sens vraiment du respect et de l'admiration. Pour la plupart des autres hommes éminents que j'ai rencontrés, je sens, du moins, que j'appartiens à la même race. Mais Lawrence a quelque chose de différent et de supérieur en qualité, non en quantité.
Différent et supérieur en qualité. Je crois que presque tous ceux qui l'ont connu ont dû sentir que Lawrence était cela. Un être, comment savoir, d'un autre ordre, plus sensible, plus profondément conscient, plus capable de sentir que même les plus doués des hommes ordinaires. Il avait, sans doute, ses faiblesses et ses défauts. Il avait ses limites intellectuelles — limites qu'il semblait s'être délibérément imposées. (...)
Être avec Lawrence était une espèce d'aventure, un voyage de découvertes dans un monde neuf et différent. Car, étant lui-même d'un ordre différent, il habitait un univers différent de celui des hommes vulgaires, un monde plus intense et plus éclatant, dont, au cours de sa conversation, ils nous faisaient les honneurs. Il regardait les choses, semble-t-il, de l'oeil d'un homme qui avait été aux portes de la mort, et pour qui, à mesure qu'il émerge des ténèbres, le monde se révèle insondablement beau et mystérieux. Pour Lawrence, la vie était une incessante convalescence ; c'était comme si, chaque jour de son existence, il renaissait d'une maladie mortelle. Ce que ses yeux convalescents voyaient, ces paroles les plus insignifiantes vous le révélaient. Une promenade avec lui dans la campagne était une promenade à travers ce paysage miraculeusement riche et chargé de sens qui est à la fois l'arrière-plan et le personnage principal de tous ses romans. Il paraissait savoir, par expérience personnelle, ce que signifiait être un arbre, ou une pâquerette, où une vague qui se brise, ou même la lune mystérieuse. Il pouvait entrer dans la peau d'un animal et vous dire, avec les détails les plus convaincants, ce qu'il sentait, et comment, obscurément, inhumainement, il pensait. De Suzanne-à-l'Oeil-Noir, par exemple, la vache de son ranch au Nouveau-Mexique, il ne se lassait pas de parler, pas plus que je ne me lassais d'écouter la description de son caractère et de sa philosophie bovine.
« Il voit, me disait un jour Vernon Lee, plus qu'un être humain ne devrait voir. Peut-être, ajouta-t-elle,
est-ce pourquoi il déteste tant l'humanité. » C'est pourquoi, aussi, il l'aimait tant.
(A.H.)
• Les relations humaines constituent la matière première de l'oeuvre de D.H. Lawrence, par l'intensité avec laquelle elles révèlent la circulation d'énergie entre les êtres humains. Nourri de rencontres et à la fois profondément solitaire — de la solitude du visionnaire et du misanthrope en même temps, (...) Lawrence erre, se frotte à d'autres peuples, d'autres climats, et son regard toujours pénétrant en retire des observations d'une grande sagacité sur l'autre culturel et l'autre amical, sans jamais que son périple ne le satisfasse ni ne le conduise à adhérer au monde. Cette insatisfaction imprègne également ses rapports humains, placée sous le double signe d'une empathie profonde et d'un esprit critique acéré (...).
(...) Fougueux et emporté dans ses lettres comme dans son oeuvre et dans sa vie, Lawrence qui nous apparaît ici est tranchant et vulnérable à la fois, incapable de ne pas déchaîner sa véhémence contre ses proches tout en ayant (...) besoin de leur soutien et de leur affection. (...)
Car Lawrence lutte avant tout contre lui-même : « La seule aventure est une question de lutte intérieure avec soi-même. » Or Lawrence est las de la « vie intérieure », il fustige ce narcissisme délétère chez M. comme ferment de faiblesse (...) « D'une façon ou d'une autre, vous n'avez pas été assez homme. » Lawrence s'immisce dans la vie intime de ses amis, (...) avec une âpreté déconcertante : c'est comme si, dès lors qu'il avait reconnu en eux une étoffe proche de la sienne, la frontière qui les séparait s'était dissoute, l'autorisant à émettre des conseils qui sonnent parfois comme autant de jugements. Ce faisant, il passe outre à la réserve habituellement observée entre amis. Mais il le sait, et agit ainsi par conviction qu'il peut « aider les gens à avoir foi ». (...)
« Autrement dit, les lettres qu'il aimait à écrire ou à lire était celles qui se gardaient de l'ennui et diffusaient une sorte d'énergie vitale. » (...) Lawrence se soucie très peu des formes épistolaires et, là comme dans son oeuvre, rejette les jougs qui pèsent habituellement sur cette forme d'expression. Cet impératif l'amène parfois à outrepasser les limites de ce qu'il est possible de dire à un ami, peut-être car on ne devrait pas non plus se le dire à soi-même. À trop vouloir changer les autres et le monde, on n'en vient parfois à ne pas se ménager suffisamment. « Je suis un être fastidieux pour moi-même et pour les autres. » Tant il est vrai que l'on ne peut rien pour autrui qu'il ne veuille d'abord pour lui-même. Ainsi, l'idéal d'une vie commune est venu heurter l'affirmation courageuse de la vie en soi que Lawrence encourage chez ses proches, selon des lignes qu'il dicte parfois de façon autoritaire. Cette tendance cohabitant toujours avec un profond renoncement à la volonté, car « la vie et par elle-même source de vie », et une acceptation émerveillée de ce qui est . (...) « (...) Il me semble que tout ce qu'il écrit (...) a de l'importance. Et, en somme, ce que nous lui reprochons est encore un signe de vie. C'est un homme vivant. »
• Ne faisant pas de distinction entre l'art et la vie, Lawrence veut être porteur de renouveau en art mais surtout faire advenir le « nouveau » dans la trame même de la vie. (...)
(E.A.)
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