N'en jetons presque plus ! Trions, reprenons, détournons.
L'essentiel est presque bien dit et redit, en long, en large...
Reprenons serré, de travers, à travers.
Par les moyens d'avenir du présent. Pour le présent de l'avenir.
(OTTO)KARL

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2010-02-10

l'anti-fascistique

Pour moi, le minimal en politique, ce qui est absolument intraitable, c'est le problème du fascisme. (...) Le fascisme inclut beaucoup de choses ; pour fixer les idées, je précise qu'est fasciste à mes yeux tout régime [au sens large] qui, non seulement empêche de dire, mais surtout oblige à dire. Ensuite parce que ça, c'est la tentation constante du pouvoir, son naturel, celui qui revient au galop après qu'on l'a chassé.
. [Refus du pouvoir ?] Disons une sensibilité extrême à l'égard de son ubiquité — il est partout — et de son endurance — il est perpétuel. (...) Le pouvoir, c'est pluriel. Aussi ai-je le sentiment que ma guerre à moi, ce n'est pas le pouvoir, ce sont les pouvoirs, où qu'ils soient.
(R.B. — GV289&286)

D’où les trois adversaires auxquels L’anti-Oedipe se trouve confronté. Trois adversaires qui n’ont pas la même force, qui représentent des degrés divers de menace, et que le livre combat par des moyens différents.
1. Les ascètes politiques, les militants moroses, les terroristes de la théorie, ceux qui voudraient préserver l’ordre pur de la politique et du discours politique. Les bureaucrates de la révolution et les fonctionnaires de la Vérité. 2. Les pitoyables techniciens du désir - les psychanalystes et les sémiologues qui enregistrent chaque signe et chaque symptôme, et qui voudraient réduire l’organisation multiple du désir à la loi binaire de la structure et du manque. 3. Enfin, l’ennemi majeur, l’adversaire stratégique (alors que l’opposition de L’anti-Oedipe à ses autres ennemis constitue plutôt un engagement tactique) : le fascisme. Et non seulement le fascisme historique de Hitler et de Mussolini — qui a su si bien mobiliser et utiliser le désir des masses — mais aussi le fascisme qui est en nous tous, qui hante nos esprits et nos conduites quotidiennes, le fascisme qui nous fait aimer le pouvoir, désirer cette chose même qui nous domine et nous exploite.

Je dirais que L’anti-Oedipe (...) est un livre d’éthique (...) ((...) être anti-Oedipe est devenu un style de vie, un mode de pensée et de vie.) (...) Comment débarrasser notre discours et nos actes, nos cœurs et nos plaisirs, du fascisme ? Comment débusquer le fascisme qui s’est incrusté dans notre comportement ? (...) Deleuze et Guattari (...) guettent les traces les plus infimes du fascisme dans le corps.
(...) on pourrait dire que L’anti-Oedipe est une introduction à la vie non fasciste.

Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient déjà installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de la vie quotidienne :
* Libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante. * Faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale. * Affranchissez-vous des vieilles catégories du Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune) que la pensée occidentale a si longtemps tenu sacré en tant que forme de pouvoir et mode d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniformité, les flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire mais nomade. * N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire. * N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de Vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique. * N’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse les « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis. L’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est « désindividualiser » par la multiplication et le déplacement, l’agencement de combinaisons différentes. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation ». * Ne tombez pas amoureux du pouvoir.
On pourrait même dire que Deleuze et Guattari aiment si peu le pouvoir qu’ils ont cherché à neutraliser les effets de pouvoir liés à leur propre discours. D’où les jeux et les pièges que l’on trouve un peu partout dans le livre, et qui font de sa traduction un véritable tour de force. Mais ce ne sont pas les pièges familiers de la rhétorique, ceux qui cherchent à séduire le lecteur sans qu’il soit conscient de la manipulation, et finissent par le gagner à la cause des auteurs contre sa volonté. Les pièges de L’Anti-Oedipe sont ceux de l’humour : tant d’invitations à se laisser expulser, à prendre congé du texte en claquant la porte. Le livre donne souvent à penser qu’il n’est qu’humour et jeu là où pourtant quelque chose d’essentiel se passe, quelque chose qui est du plus grand sérieux : la traque de toutes les formes de fascisme, depuis celles, colossales, qui nous entourent et nous écrasent, jusqu’aux formes menues qui font l’amère tyrannie de nos vies quotidiennes.
(M.F.)

Nous ferons la suite parce que nous aimons travailler ensemble. Mais ce ne sera pas du tout une suite. Le dehors aidant, ce sera quelque chose de tellement différent dans le langage et la pensée que les gens qui nous « attendent » seront forcés de se dire : ils sont devenus complètement fous, ou bien c'est des salauds, ou bien ils ont été incapables de continuer. Décevoir est un plaisir. Non pas du tout qu'on veuille faire semblant d'être fous, mais on le deviendra à notre manière et à notre heure, il ne faut pas nous bousculer. Nous savons bien que l'anti-Oedipe premier tome est encore plein de compromissions, trop plein de choses encore savantes et qui ressemblent à des concepts. Eh bien on changera, c'est déjà fait, tout va bien pour nous. Certains pensent qu'on va continuer sur la même lancée, il y en avait même pour croire qu'on allait former un cinquième groupe psychanalytique. Misère. Nous rêvons à d'autres choses, plus clandestines et plus gaies. Des compromis, on n'en fera plus du tout, parce qu'on a moins besoin d'en faire. Et l'on se trouvera toujours les alliés dont on aura envie ou qui auront envie de nous.
(...) Et si quelqu'un utilise l'anti-Oedipe, on s'en fout, puisqu'on est déjà ailleurs.
(G.D.)

Voyez la Tique, admirez cette bête, elle se définit par trois affects, c'est tout ce dont elle est capable en fonction des rapports dont elle est composée, un monde tripolaire et c'est tout! La lumière l'affecte, et elle se hisse jusqu'à la pointe d'une branche. L'odeur d'un mammifère l'affecte, et elle se laisse tomber sur lui. Les poils la gênent, et elle cherche une place dépourvue de poils pour s'enfoncer sous la peau et boire le sang chaud. Aveugle et sourde, la tique n'a que trois affects dans la forêt immense, et le reste du temps peut dormir des années en attendant la rencontre. Quelle puissance pourtant! (..) Commencer par des animaux simples, qui n'ont qu'un petit nombre d'affects, et qui ne sont pas dans notre monde, ni dans un autre, mais avec un monde associé qu'ils ont su tailler, découper, recoudre : (...) voilà des bêtes philosophiques et pas l'oiseau de Minerve. (...) Rien que quelques signes comme des étoiles dans une nuit noire immense. Devenir-araignée, devenir-pou, devenir-tique, une vie inconnue, forte, obscure, obstinée.
(G.D.-C.P.)

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