N'en jetons presque plus ! Trions, reprenons, détournons.
L'essentiel est presque bien dit et redit, en long, en large...
Reprenons serré, de travers, à travers.
Par les moyens d'avenir du présent. Pour le présent de l'avenir.
(OTTO)KARL
> page d'accueil
L'essentiel est presque bien dit et redit, en long, en large...
Reprenons serré, de travers, à travers.
Par les moyens d'avenir du présent. Pour le présent de l'avenir.
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2010-02-27
si tu savais... comprenais... à temps.
(S.G. — merci à K.T.) :: 3'48''::
Il faut vivre comme si on avait toujours vécu.
(J.P.)
cf. echap
cf. l'angle d'oreille
cf. le dommage et l'entrouverture
cf. pour faire simple
...
2010-02-26
de l'obéissance civile
- années 60 -
C'est de 1960 à 1963 que le psychologue américain Stanley Milgram mène une série d'expériences, avec plusieurs variantes, visant à estimer à quel point un individu peut se plier aux ordres d'une autorité qu'il accepte, mais qui entre en contradiction avec sa conscience.
L'expérience dite de Milgram vise à définir le niveau d'obéissance d'un individu à une autorité qu'il juge comme légitime et le processus qui mène et maintient cette obéissance.
Lors des premières expériences menées par Stanley Milgram, 62,5% (25 sur 40) des sujets menèrent l'expérience à terme en infligeant à trois reprises les électrochocs de 450 volts ! (Rappelons que dès 330 volts, l’élève ne répond plus, et que des maîtres ont cru qu’il était mort, mais ont néanmoins continué.) Tous les participants acceptèrent le principe annoncé et, éventuellement après encouragement, atteignirent les 135 volts. La moyenne des chocs maximaux (niveaux auxquels s'arrêtèrent les sujets) fut de 360 volts. Toutefois, chaque participant s'était à un moment ou à un autre interrompu pour questionner le professeur. Beaucoup présentaient des signes patents de nervosité extrême et de réticence lors des derniers stades (protestations verbales, rires nerveux, etc.).
D'autres expériences à travers le monde ont validé les résultats obtenus par Milgram. Les taux d'obéissance obtenus se sont même généralement avérés plus élevés que dans la situation originale. On peut ainsi citer les réalisations de David Rosenhan, et de David Mantell en Allemagne. Des travaux ultérieurs, en particulier par Thomas Blass, ont montré que le pourcentage de personnes acceptant, dans des conditions expérimentales similaires, d'infliger des décharges très importantes était à peu près constant, entre 61% et 66%, quels que soient le lieu et l'époque où le test était mené.
Milgram a qualifié à l'époque ces résultats « d’inattendus et inquiétants ».
Le concept théorique central proposé par S. Milgram est l’ « état agentique », « condition de l’individu qui se considère comme l’agent exécutif d’une volonté étrangère, par opposition à l’état autonome dans lequel il estime être l’auteur de ses actes. [...] Le changement agentique a pour conséquence la plus grave que l’individu estime être engagé vis-à-vis de l’autorité dirigeante, mais ne se sent pas responsable du contenu des actes que celle-là lui prescrit, Le sens moral ne disparaît pas, c’ est son point de mire qui est différent : le subordonné éprouve humiliation ou fierté selon la façon dont il a accompli la tâche exigée de lui » Ainsi, « des gens ordinaires, dépourvus de toute hostilité peuvent, en s’acquittant simplement de leur tâche, devenir les agents d’un atroce processus de destruction ».
(ed.-w., merci à edgar de lepostier.fr)
— année 2010 —
Réalisée et filmée pour les besoins d'un film documentaire (...), la Zone Xtrême met en situation des candidats candides. Vrais sujets de l'expérience, chacun de ces 80 "cobayes" représentatifs de la population française, recrutés par une société spécialisée dans les enquêtes marketing, croit participer aux répétitions d'un nouveau jeu télévisé. Il tient le rôle du questionneur. À ses côtés, Jean-Paul, un autre candidat — en réalité, un comédien — et une animatrice. Derrière lui, un public de cent personnes et toute l'impressionnante machinerie télévisuelle. Principe du jeu : Jean-Paul doit mémoriser des associations de mots. S'il se trompe, son questionneur lui administrera des chocs électriques de plus en plus violents, de 20 à 460 volts. Stupeur : la totalité des 80 candidats ont accepté de participer, donc d'administrer des décharges électriques à un inconnu pour les besoins d'un show sans enjeu (puisqu'il était entendu qu'il n'y aurait rien à gagner et qu'il ne serait pas diffusé). Pire : plus de 8 participants sur 10 ont joué jusqu'au bout, poussant la dernière manette malgré les suppliques désespérées et les hurlements de douleur de Jean-Paul.
Jean-Léon Beauvois, coordinateur de l'expérience de la Zone Xtrême, décrypte les coulisses et les conclusions de cette étude...
Au fur et à mesure de l'émission et des questions, les participants n'hésitaient plus à administrer des chocs électriques à un concurrent.
Pourquoi avez-vous accepté d'encadrer cette expérience, l'adaptation de la célèbre étude de Stanley Milgram réalisée dans les années 1960 ?
JLB - Je ne suis pas un consommateur de téléréalité. Je m'y étais intéressé au moment où le Loft a commencé en France, parce que j'entendais souvent comparer ce concept d'émission à des expériences de psychologie sociale. Bien sûr, ça n'a rien à voir, et j'ai été scandalisé de ces amalgames. Après que Christophe Nick [le producteur et auteur, ndlr] m'a contacté, j'ai recommencé à visionner quelques programmes. Ce que j'ai vu m'a confirmé dans mon idée de ce qu'est devenu un individu aujourd'hui: un grain de sable dans une masse, un être à qui on peut faire faire n'importe quoi. J'estime que nos concitoyens méritent mieux que cette production de l'individualisme libéral, produit essentiellement par les modèles fournis par la télévision: un être conformiste, influençable, manipulable, qui roule des mécaniques. On l'amuse avec n'importe quoi, on lui fait bouffer n'importe quoi. Et c'est la télévision qui a fabriqué ça.
Plus de 80% des participants de l'expérience sont allés jusqu'au bout du jeu, c'est-à-dire qu'ils ont administré une décharge de 460 volts à l'autre candidat en punition d'une mauvaise réponse. Vous attendiez-vous à obtenir de tels résultats?
Pas du tout. L'expérience de Milgram ne met pas l'individu dans la situation du bourreau ordinaire d'un camp de concentration qui a des chefs et des pairs. C'est même le contraire. L'individu y est seul, il ne trimbale aucune identité sociale, ne représente aucun groupe. J'étais convaincu que Milgram obtenait des chiffres élevés — 62% dans son cas — parce qu'il inscrivait son expérience dans le cadre d'une institution alors très valorisée et respectée : la science. Je pensais que seul ce contexte de légitimité pouvait donner un pouvoir prescriptif sur un individu sans qu'on exerce un pouvoir formel, hors de toute structure, pas comme des soldats nazis ou des GI qui balancent du napalm...
Comment expliquer, dans ce cas, que la plupart des sujets aillent jusqu'au bout?
Même dans une situation où le choix est offert, l'option naturelle est d'obéir. Or, plus un individu se croit libre, plus il est manipulable. Il suffit de dire à quelqu'un "vous êtes libre de le faire ou pas" pour qu'il obéisse plus volontiers. On se disait toutefois que le pouvoir de la télévision manquait de légitimité et de caractère formel. On n'y croyait pas trop, en réalité. (...)
Qu'avez-vous ressenti?
Quand, au premier jour de tournage, les 8 candidats-sujets sont tous allés jusqu'au bout, j'étais mal. Aussi bien pour des raisons théoriques que purement humaines. On s'est dit : "Mais d'où il sort, ce pouvoir? Qu'est ce qui fait qu'une institution comme la télévision est en mesure de vous dicter vos pensées et vos actes? Pourquoi Monsieur Dupont obéit-il lorsque l'animatrice lui demande un truc aussi immoral que de torturer un inconnu?"
Et donc?
Un levier essentiel, c'est la familiarité qu'on entretient avec la télévision, comme objet domestique. Elle fait partie de la famille, elle nous imprègne au quotidien, contrairement à la religion, qui passe, elle, par la croyance. La source d'influence est d'autant plus efficace qu'on n'y fait pas attention. Qu'on ne s'en méfie pas. Par ailleurs, les gens viennent avec, en tête, un modèle de la conduite à adopter sur un plateau. Ils ont vu Michel Rocard répondre aux questions déplacées de Thierry Ardisson, ou bien des candidats de jeux télé ramper au milieu des rats, croquer des araignées, etc. Là, ils sont venus pour rendre ce service en adoptant le "bon" comportement. Et ils le rendent, même si ça les fait terriblement souffrir!
Ce ne sont donc pas des sadiques qui s'ignorent?
Au contraire, ils souffrent. Milgram est connu pour son apport à la théorie d'Hannah Arendt sur la Banalité du mal, qui veut que le tortionnaire nazi soit un fonctionnaire froid, sans affect. Je n'y crois pas. Ce n'est pas parce que les sujets obéissent qu'ils ne souffrent pas, qu'ils ne luttent pas contre eux mêmes ! Dans une variante de l'expérience justement imaginée pour mesurer leur "sadisme" éventuel, on a demandé à l'animatrice de les laisser seuls sur le plateau, pour voir si ils continuaient en dehors de toute injonction. Et là, 75% d'entre eux stoppaient le jeu lorsque le candidat-comédien criait de douleur et les enjoignaient d'arrêter. Ce qui démontre bien que dans l'expérience canonique, les gens poursuivent à leur corps défendant. L'état "agentique", dans lequel nos sujets se trouvent et qui les fait agir, c'est le contraire de la sérénité. On l'a d'ailleurs observé dans des situations de la vie sociale, où des gens sont amenés à commettre des actes qu'ils réprouvent, des policiers ou des employés d'officines d'huissiers chargés de mettre des gens à la rue. Il n'y a pas de raison de penser que nos questionneurs souffrent moins. On ne constate aucune jouissance dans l'obéissance.
Pourquoi obéit-on ?
Parce que toute notre éducation nous a appris à le faire. Parce qu'on est "quelqu'un de bien" socialement parlant. La propension à l'obéissance n'est pas innée, elle fait partie des acquis, d'un apprentissage d'autant plus efficace qu'il a été long. En ce qui concerne nos "candidats", outre cette propension à l'obéissance, les deux facteurs qui conditionnent leur obéissance sont, d'une part, le fait qu'ils sont venus pour se mettre au service ; d'autre part, qu'ils ont été modelés par la télé pour être de "bons joueurs", capables d'accomplir des choses difficiles en gardant sourire et décontraction.
Lorsqu'ils arrivent dans les studios, ils ne connaissent pas encore la règle du jeu. Comment réagissent-ils lorsqu'on leur en annonce les règles?
Beaucoup rient.
Et quand, à la fin, vous leur révélez le pot aux roses?
Certains jurent qu'ils se doutaient de la supercherie. D'ailleurs, ceux qui assurent ne s'être pas laissés berner ne se sont pas levés en disant qu'on se moquait d'eux et qu'ils avaient affaire à une mascarade. Ils ont pris le risque fou, dans le doute, de continuer. De la même manière, certains de ceux qui assurent avoir compris dès le début que tout était faux ont triché quand même, en soufflant les bonnes réponses à l'autre candidat.... Pourquoi tricher si on ne croit pas à la réalité de la punition ? Tout ceci est une façon de se justifier, de rationaliser, après coup.
Et les autres?
La plupart souffrent beaucoup de n'avoir pas désobéi. Ils pleurent, expliquent qu'ils sont allés à l'encontre de leurs idées, de leurs valeurs, expriment une réelle sidération en constatant ce dont ils ont été capables. Et puis il y en a quelques-uns qui ne souffrent pas, et semblent même heureux d'avoir eu l'occasion de démontrer leur exemplarité, leur force, de pouvoir se dépasser. L'un d'entre eux prétend même qu'il aurait préféré se trouver à la place de l'autre candidat, pour encaisser les chocs ! Je ne m'attendais pas à trouver des gens à ce point dénués d'empathie. Mais c'est l'exception.
Comment expliquer ce manque général de considération pour l'autre joueur, l'électrocuté ?
La situation du jeu leur fait investir toute leur sociabilité dans la personne de l'animatrice, l'autre candidat devenant un simple objet de transition entre elle et eux. Les désobéissants "rapides" [qui interrompent le jeu avant d'administrer des décharges trop fortes] dirigent au contraire leur sociabilité vers la "victime".
Comment définiriez-vous ces "désobéissants"?
Tout le monde a envie de les voir comme des héros. On pense à De Gaulle, à Gandhi, à l'homme de la place Tiananmen. Mais pour comprendre la désobéissance, il faut aussi penser à l'élève qui ne fait pas ses devoirs, à l'ouvrier qui n'exécute pas l'ordre de son contremaître. C'est ça, la désobéissance! Quelque chose qui n'a rien de nécessairement valorisant. Le désobéissant, ce n'est pas le rebelle qui agit au nom d'une cause ou d'un groupe. C'est quelqu'un de seul, qui décide de ne pas faire ce qu'on attend de lui.
Qu'attendez-vous de la diffusion de ce documentaire?
Mon rêve serait qu'il fasse entrer deux ou trois idées fortes dans la tête des gestionnaires des chaînes de télévision publiques et des membres du CSA. Qu'on mette des limites à ce que la télé donne à voir, notamment la mort en direct. Depuis les années 1950, on sait que la vision répétée de telles scènes n'est pas anodine, qu'elle détermine nos comportements. Il faudrait aussi se débarrasser de ce stéréotype selon lequel nous vivons sous le signe de la liberté et de la démocratie. C'est une illusion dangereuse. Cette expérience, qui démontre que 80% des gens se comportent comme de possibles tortionnaires si la télévision le leur demande, reflète un pouvoir terrifiant. Quand une masse est gérée au niveau de ses pensées, de ses attitudes, de ses comportements, j'appelle ça un totalitarisme. Un totalitarisme tranquille, parce qu'on ne nous tape pas dessus et qu'on ne nous met pas en prison. Mais un totalitarisme quand même.
(merci à edgar de lepostier.fr)
cf. la liberté ta soeur
cf. dis court de la servitude volontaire
cf. du CONfor misme
C'est de 1960 à 1963 que le psychologue américain Stanley Milgram mène une série d'expériences, avec plusieurs variantes, visant à estimer à quel point un individu peut se plier aux ordres d'une autorité qu'il accepte, mais qui entre en contradiction avec sa conscience.
L'expérience dite de Milgram vise à définir le niveau d'obéissance d'un individu à une autorité qu'il juge comme légitime et le processus qui mène et maintient cette obéissance.
Lors des premières expériences menées par Stanley Milgram, 62,5% (25 sur 40) des sujets menèrent l'expérience à terme en infligeant à trois reprises les électrochocs de 450 volts ! (Rappelons que dès 330 volts, l’élève ne répond plus, et que des maîtres ont cru qu’il était mort, mais ont néanmoins continué.) Tous les participants acceptèrent le principe annoncé et, éventuellement après encouragement, atteignirent les 135 volts. La moyenne des chocs maximaux (niveaux auxquels s'arrêtèrent les sujets) fut de 360 volts. Toutefois, chaque participant s'était à un moment ou à un autre interrompu pour questionner le professeur. Beaucoup présentaient des signes patents de nervosité extrême et de réticence lors des derniers stades (protestations verbales, rires nerveux, etc.).
D'autres expériences à travers le monde ont validé les résultats obtenus par Milgram. Les taux d'obéissance obtenus se sont même généralement avérés plus élevés que dans la situation originale. On peut ainsi citer les réalisations de David Rosenhan, et de David Mantell en Allemagne. Des travaux ultérieurs, en particulier par Thomas Blass, ont montré que le pourcentage de personnes acceptant, dans des conditions expérimentales similaires, d'infliger des décharges très importantes était à peu près constant, entre 61% et 66%, quels que soient le lieu et l'époque où le test était mené.
Milgram a qualifié à l'époque ces résultats « d’inattendus et inquiétants ».
Le concept théorique central proposé par S. Milgram est l’ « état agentique », « condition de l’individu qui se considère comme l’agent exécutif d’une volonté étrangère, par opposition à l’état autonome dans lequel il estime être l’auteur de ses actes. [...] Le changement agentique a pour conséquence la plus grave que l’individu estime être engagé vis-à-vis de l’autorité dirigeante, mais ne se sent pas responsable du contenu des actes que celle-là lui prescrit, Le sens moral ne disparaît pas, c’ est son point de mire qui est différent : le subordonné éprouve humiliation ou fierté selon la façon dont il a accompli la tâche exigée de lui » Ainsi, « des gens ordinaires, dépourvus de toute hostilité peuvent, en s’acquittant simplement de leur tâche, devenir les agents d’un atroce processus de destruction ».
(ed.-w., merci à edgar de lepostier.fr)
— année 2010 —
Réalisée et filmée pour les besoins d'un film documentaire (...), la Zone Xtrême met en situation des candidats candides. Vrais sujets de l'expérience, chacun de ces 80 "cobayes" représentatifs de la population française, recrutés par une société spécialisée dans les enquêtes marketing, croit participer aux répétitions d'un nouveau jeu télévisé. Il tient le rôle du questionneur. À ses côtés, Jean-Paul, un autre candidat — en réalité, un comédien — et une animatrice. Derrière lui, un public de cent personnes et toute l'impressionnante machinerie télévisuelle. Principe du jeu : Jean-Paul doit mémoriser des associations de mots. S'il se trompe, son questionneur lui administrera des chocs électriques de plus en plus violents, de 20 à 460 volts. Stupeur : la totalité des 80 candidats ont accepté de participer, donc d'administrer des décharges électriques à un inconnu pour les besoins d'un show sans enjeu (puisqu'il était entendu qu'il n'y aurait rien à gagner et qu'il ne serait pas diffusé). Pire : plus de 8 participants sur 10 ont joué jusqu'au bout, poussant la dernière manette malgré les suppliques désespérées et les hurlements de douleur de Jean-Paul.
Jean-Léon Beauvois, coordinateur de l'expérience de la Zone Xtrême, décrypte les coulisses et les conclusions de cette étude...
Au fur et à mesure de l'émission et des questions, les participants n'hésitaient plus à administrer des chocs électriques à un concurrent.
Pourquoi avez-vous accepté d'encadrer cette expérience, l'adaptation de la célèbre étude de Stanley Milgram réalisée dans les années 1960 ?
JLB - Je ne suis pas un consommateur de téléréalité. Je m'y étais intéressé au moment où le Loft a commencé en France, parce que j'entendais souvent comparer ce concept d'émission à des expériences de psychologie sociale. Bien sûr, ça n'a rien à voir, et j'ai été scandalisé de ces amalgames. Après que Christophe Nick [le producteur et auteur, ndlr] m'a contacté, j'ai recommencé à visionner quelques programmes. Ce que j'ai vu m'a confirmé dans mon idée de ce qu'est devenu un individu aujourd'hui: un grain de sable dans une masse, un être à qui on peut faire faire n'importe quoi. J'estime que nos concitoyens méritent mieux que cette production de l'individualisme libéral, produit essentiellement par les modèles fournis par la télévision: un être conformiste, influençable, manipulable, qui roule des mécaniques. On l'amuse avec n'importe quoi, on lui fait bouffer n'importe quoi. Et c'est la télévision qui a fabriqué ça.
Plus de 80% des participants de l'expérience sont allés jusqu'au bout du jeu, c'est-à-dire qu'ils ont administré une décharge de 460 volts à l'autre candidat en punition d'une mauvaise réponse. Vous attendiez-vous à obtenir de tels résultats?
Pas du tout. L'expérience de Milgram ne met pas l'individu dans la situation du bourreau ordinaire d'un camp de concentration qui a des chefs et des pairs. C'est même le contraire. L'individu y est seul, il ne trimbale aucune identité sociale, ne représente aucun groupe. J'étais convaincu que Milgram obtenait des chiffres élevés — 62% dans son cas — parce qu'il inscrivait son expérience dans le cadre d'une institution alors très valorisée et respectée : la science. Je pensais que seul ce contexte de légitimité pouvait donner un pouvoir prescriptif sur un individu sans qu'on exerce un pouvoir formel, hors de toute structure, pas comme des soldats nazis ou des GI qui balancent du napalm...
Comment expliquer, dans ce cas, que la plupart des sujets aillent jusqu'au bout?
Même dans une situation où le choix est offert, l'option naturelle est d'obéir. Or, plus un individu se croit libre, plus il est manipulable. Il suffit de dire à quelqu'un "vous êtes libre de le faire ou pas" pour qu'il obéisse plus volontiers. On se disait toutefois que le pouvoir de la télévision manquait de légitimité et de caractère formel. On n'y croyait pas trop, en réalité. (...)
Qu'avez-vous ressenti?
Quand, au premier jour de tournage, les 8 candidats-sujets sont tous allés jusqu'au bout, j'étais mal. Aussi bien pour des raisons théoriques que purement humaines. On s'est dit : "Mais d'où il sort, ce pouvoir? Qu'est ce qui fait qu'une institution comme la télévision est en mesure de vous dicter vos pensées et vos actes? Pourquoi Monsieur Dupont obéit-il lorsque l'animatrice lui demande un truc aussi immoral que de torturer un inconnu?"
Et donc?
Un levier essentiel, c'est la familiarité qu'on entretient avec la télévision, comme objet domestique. Elle fait partie de la famille, elle nous imprègne au quotidien, contrairement à la religion, qui passe, elle, par la croyance. La source d'influence est d'autant plus efficace qu'on n'y fait pas attention. Qu'on ne s'en méfie pas. Par ailleurs, les gens viennent avec, en tête, un modèle de la conduite à adopter sur un plateau. Ils ont vu Michel Rocard répondre aux questions déplacées de Thierry Ardisson, ou bien des candidats de jeux télé ramper au milieu des rats, croquer des araignées, etc. Là, ils sont venus pour rendre ce service en adoptant le "bon" comportement. Et ils le rendent, même si ça les fait terriblement souffrir!
Ce ne sont donc pas des sadiques qui s'ignorent?
Au contraire, ils souffrent. Milgram est connu pour son apport à la théorie d'Hannah Arendt sur la Banalité du mal, qui veut que le tortionnaire nazi soit un fonctionnaire froid, sans affect. Je n'y crois pas. Ce n'est pas parce que les sujets obéissent qu'ils ne souffrent pas, qu'ils ne luttent pas contre eux mêmes ! Dans une variante de l'expérience justement imaginée pour mesurer leur "sadisme" éventuel, on a demandé à l'animatrice de les laisser seuls sur le plateau, pour voir si ils continuaient en dehors de toute injonction. Et là, 75% d'entre eux stoppaient le jeu lorsque le candidat-comédien criait de douleur et les enjoignaient d'arrêter. Ce qui démontre bien que dans l'expérience canonique, les gens poursuivent à leur corps défendant. L'état "agentique", dans lequel nos sujets se trouvent et qui les fait agir, c'est le contraire de la sérénité. On l'a d'ailleurs observé dans des situations de la vie sociale, où des gens sont amenés à commettre des actes qu'ils réprouvent, des policiers ou des employés d'officines d'huissiers chargés de mettre des gens à la rue. Il n'y a pas de raison de penser que nos questionneurs souffrent moins. On ne constate aucune jouissance dans l'obéissance.
Pourquoi obéit-on ?
Parce que toute notre éducation nous a appris à le faire. Parce qu'on est "quelqu'un de bien" socialement parlant. La propension à l'obéissance n'est pas innée, elle fait partie des acquis, d'un apprentissage d'autant plus efficace qu'il a été long. En ce qui concerne nos "candidats", outre cette propension à l'obéissance, les deux facteurs qui conditionnent leur obéissance sont, d'une part, le fait qu'ils sont venus pour se mettre au service ; d'autre part, qu'ils ont été modelés par la télé pour être de "bons joueurs", capables d'accomplir des choses difficiles en gardant sourire et décontraction.
Lorsqu'ils arrivent dans les studios, ils ne connaissent pas encore la règle du jeu. Comment réagissent-ils lorsqu'on leur en annonce les règles?
Beaucoup rient.
Et quand, à la fin, vous leur révélez le pot aux roses?
Certains jurent qu'ils se doutaient de la supercherie. D'ailleurs, ceux qui assurent ne s'être pas laissés berner ne se sont pas levés en disant qu'on se moquait d'eux et qu'ils avaient affaire à une mascarade. Ils ont pris le risque fou, dans le doute, de continuer. De la même manière, certains de ceux qui assurent avoir compris dès le début que tout était faux ont triché quand même, en soufflant les bonnes réponses à l'autre candidat.... Pourquoi tricher si on ne croit pas à la réalité de la punition ? Tout ceci est une façon de se justifier, de rationaliser, après coup.
Et les autres?
La plupart souffrent beaucoup de n'avoir pas désobéi. Ils pleurent, expliquent qu'ils sont allés à l'encontre de leurs idées, de leurs valeurs, expriment une réelle sidération en constatant ce dont ils ont été capables. Et puis il y en a quelques-uns qui ne souffrent pas, et semblent même heureux d'avoir eu l'occasion de démontrer leur exemplarité, leur force, de pouvoir se dépasser. L'un d'entre eux prétend même qu'il aurait préféré se trouver à la place de l'autre candidat, pour encaisser les chocs ! Je ne m'attendais pas à trouver des gens à ce point dénués d'empathie. Mais c'est l'exception.
Comment expliquer ce manque général de considération pour l'autre joueur, l'électrocuté ?
La situation du jeu leur fait investir toute leur sociabilité dans la personne de l'animatrice, l'autre candidat devenant un simple objet de transition entre elle et eux. Les désobéissants "rapides" [qui interrompent le jeu avant d'administrer des décharges trop fortes] dirigent au contraire leur sociabilité vers la "victime".
Comment définiriez-vous ces "désobéissants"?
Tout le monde a envie de les voir comme des héros. On pense à De Gaulle, à Gandhi, à l'homme de la place Tiananmen. Mais pour comprendre la désobéissance, il faut aussi penser à l'élève qui ne fait pas ses devoirs, à l'ouvrier qui n'exécute pas l'ordre de son contremaître. C'est ça, la désobéissance! Quelque chose qui n'a rien de nécessairement valorisant. Le désobéissant, ce n'est pas le rebelle qui agit au nom d'une cause ou d'un groupe. C'est quelqu'un de seul, qui décide de ne pas faire ce qu'on attend de lui.
Qu'attendez-vous de la diffusion de ce documentaire?
Mon rêve serait qu'il fasse entrer deux ou trois idées fortes dans la tête des gestionnaires des chaînes de télévision publiques et des membres du CSA. Qu'on mette des limites à ce que la télé donne à voir, notamment la mort en direct. Depuis les années 1950, on sait que la vision répétée de telles scènes n'est pas anodine, qu'elle détermine nos comportements. Il faudrait aussi se débarrasser de ce stéréotype selon lequel nous vivons sous le signe de la liberté et de la démocratie. C'est une illusion dangereuse. Cette expérience, qui démontre que 80% des gens se comportent comme de possibles tortionnaires si la télévision le leur demande, reflète un pouvoir terrifiant. Quand une masse est gérée au niveau de ses pensées, de ses attitudes, de ses comportements, j'appelle ça un totalitarisme. Un totalitarisme tranquille, parce qu'on ne nous tape pas dessus et qu'on ne nous met pas en prison. Mais un totalitarisme quand même.
(merci à edgar de lepostier.fr)
cf. la liberté ta soeur
cf. dis court de la servitude volontaire
cf. du CONfor misme
2010-02-25
du CONfor misme
Que nos gestes, nos attitudes soient déterminés voire dictés par le groupe social c'est bien connu, sans être assez reconnu pour autant — loin de là ! Mais dans certaines situations de promiscuité, ça peut devenir plus évident. Démonstration, dans l'humour.
Le conformisme est une autre forme d'obéissance, issue non plus d'une autorité, mais du comportement du groupe. Lorsque l'individu obéit à l'ordre d'une autorité, il est parfaitement conscient que les actions qu'il réalise sont celles désirées par l'autorité. Avec le conformisme, l'individu est persuadé que ses actions sont celles qu'il a lui même désirées et qu'en aucun cas il n'imite le comportement du groupe. Ce mimétisme est une façon pour l'individu de ne pas se démarquer du groupe.
Le conformisme est généralement considéré, aussi bien en sociologie qu'en politique, comme une faiblesse individuelle, une difficulté à s'affirmer en tant qu'individualité. Car le conformisme n'est pas seulement une adhésion mimétique avec un cercle d'opinion, c'est également l'adoption des attitudes du groupe auquel on veut adhérer ou duquel on subit l'influence ou la pression. Ainsi derrière la vision d'un conformisme de classe se cache une cascade de conformismes comportementaux qui sont cultivés et recherchés par des groupes de pression dont les intérêts sont économiques, politiques ou religieux, avec en arrière-plan l'idée commune d'asseoir et consolider un pouvoir ou une hégémonie.
On rencontre le conformisme dans les différents types de corporations ou de corps.
On dit d'une attitude comme par exemple « suivre la mode » qu'elle est conformiste lorsqu'elle va dans le sens général. C'est l'ambivalence de l'intégration sociale : « Faire comme les autres, être comme les autres, ne pas se distinguer des autres ».
Le philosophe krishnamurti affirme que « le conformisme est une forme de violence. »
(ed.-w., merci à edgar de lepostier.fr)
Le conformisme est une autre forme d'obéissance, issue non plus d'une autorité, mais du comportement du groupe. Lorsque l'individu obéit à l'ordre d'une autorité, il est parfaitement conscient que les actions qu'il réalise sont celles désirées par l'autorité. Avec le conformisme, l'individu est persuadé que ses actions sont celles qu'il a lui même désirées et qu'en aucun cas il n'imite le comportement du groupe. Ce mimétisme est une façon pour l'individu de ne pas se démarquer du groupe.
Le conformisme est généralement considéré, aussi bien en sociologie qu'en politique, comme une faiblesse individuelle, une difficulté à s'affirmer en tant qu'individualité. Car le conformisme n'est pas seulement une adhésion mimétique avec un cercle d'opinion, c'est également l'adoption des attitudes du groupe auquel on veut adhérer ou duquel on subit l'influence ou la pression. Ainsi derrière la vision d'un conformisme de classe se cache une cascade de conformismes comportementaux qui sont cultivés et recherchés par des groupes de pression dont les intérêts sont économiques, politiques ou religieux, avec en arrière-plan l'idée commune d'asseoir et consolider un pouvoir ou une hégémonie.
On rencontre le conformisme dans les différents types de corporations ou de corps.
On dit d'une attitude comme par exemple « suivre la mode » qu'elle est conformiste lorsqu'elle va dans le sens général. C'est l'ambivalence de l'intégration sociale : « Faire comme les autres, être comme les autres, ne pas se distinguer des autres ».
Le philosophe krishnamurti affirme que « le conformisme est une forme de violence. »
(ed.-w., merci à edgar de lepostier.fr)
2010-02-24
2010-02-23
2010-02-21
de la lecture sans lecture à l'écriture sans écriture
Expérimentez, n'interprétez jamais.
(G.D.)
(...) ce qui importe, c’est moins l’expression que l’impression. Un livre de philosophie, c’est à la fois un livre difficile mais c’est aussi un livre tout à fait accessible, une boîte à outils formidablement ouverte pourvu qu’à ce moment on en ait besoin, envie. [Il] offre des effets de connaissance...
(G.D.)
Il y a des auteurs, il y a des penseurs... Traitez-les comme des grands peintres. (...) en philosophie il y a autant de création qu’ailleurs, c’est comme la peinture, c’est comme la musique.
(G.D.)
(...) les bonnes manières de lire aujourd’hui, c’est d’arriver à traiter un livre comme on écoute un disque, comme on regarde un film ou une émission télé, comme on reçoit une chanson : tout traitement du livre qui réclamerait pour lui un respect spécial, une attention d’une autre sorte, vient d’un autre âge et condamne définitivement le livre. Il n’y aucune question de difficulté ni de compréhension : les concepts sont exactement comme des sons, des couleurs ou des images, ce sont des intensités qui vous conviennent ou non, qui passent ou ne passent pas. Pop’philosophie. Il n’y a rien à comprendre, rien à interpréter. (...) Proust dit : « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres tous les contresens qu’on fait sont beaux. » C’est la bonne manière de lire : tous les contresens sont bons, à condition toutefois qu’ils ne consistent pas en interprétations, mais qu’ils concernent l’usage du livre, qu’ils en multiplient l’usage, qu’ils fassent encore une langue à l’intérieur de sa langue.
(G.D.)
(...) le seul problème est « est-ce que ça fonctionne, et comment ça fonctionne ? » Comment ça fonctionne pour vous ? Si ça ne fonctionne pas, si rien ne passe, prenez donc un autre livre. Cette autre lecture, c’est une lecture en intensité : quelque chose passe ou ne passe pas. Il n’y a rien à expliquer, rien à comprendre, rien à interpréter. C’est du type branchement électrique. (...) Cette autre manière de lire (...) rapporte immédiatement un livre au Dehors. Un livre, c’est un petit rouage dans une machinerie beaucoup plus complexe extérieure. Écrire, c’est un flux parmi d’autres, et qui n’a aucun privilège par rapport aux autres, et qui entre dans des rapports de courant, de contre-courant, de remous avec d’autres flux, flux de merde, de sperme, de parole, d’action, d’érotisme, de monnaie, de politique, etc.
(G.D.)
C´est tout simple, écrire. On bien c´est une manière de se re-territorialiser, de se conformer à un code d´enoncés dominants, à un territoire d´état de choses établies : non seulement les écoles et les auteurs, mais tous les professionnels d´une écriture même non littéraire. Ou bien, au contraire, c´est devenir, devenir autre chose qu´écrivain, puisque, en même temps, ce qu´on devient devient autre chose qu´écriture. Tout devenir ne passe pas par l´écriture, mais tout ce qui devient est objet d´écriture, de peinture ou de musique. Tout ce qui devient est une pure ligne, qui cesse de représenter quoi que ce soit. (...) On trace une ligne, et d´autant plus forte qu´elle est abstraite, si elle est assez sobre et sans figures. (...) Ca veut dire écrire comme un rat trace une ligne, ou comme il tord sa queue, comme un oiseau lance un son, comme un félin bouge, ou bien dort pesamment.
(G.D.)
Je crois qu'il faut avoir une conscience artisanale dans ce domaine. De même qu'il faut bien faire un sabot, il faut bien faire un livre. Cela vaut d'ailleurs pour n'importe quel paquet de phrases imprimées, que ce soit dans un journal ou une revue. Pour moi, l'écriture n'est rien d'autre que cela. Elle doit servir au livre. Ce n'est pas le livre qui sert cette grande entité, si sacralisée maintenant, que serait « l'écriture ». (...)
Mais il y a aussi le fait que, si on veut qu'il devienne un instrument dont d'autres pourront se servir, il faut que le livre fasse plaisir à ceux qui le lisent. Ça me paraît être le devoir élémentaire de celui qui livre cette marchandise ou cet objet artisanal : il faut que ça puisse faire plaisir ! (...)
Que des trouvailles ou des astuces de style fassent plaisir à celui qui écrit, et à celui qui lit, je trouve ça très bien. Il n'y a aucune raison que je me refuse ce plaisir, de même qu'il n'y a pas de raison que j'impose de s'ennuyer à des gens dont je souhaite qu'ils lisent mon livre. Il s'agit de parvenir à quelque chose d'absolument transparent au niveau de ce qui est dit, avec tout de même une espèce de surface de chatoiement qui fasse qu'on ait plaisir à caresser le texte, à l'utiliser, à y repenser, à le reprendre. C'est ma morale du livre.
Mais ce n'est pas, encore une fois, « de l'écriture ». Je n'aime pas l'écriture. Etre écrivain me paraît véritablement dérisoire. Si j'avais à me définir, à donner de moi une définition prétentieuse, si j'avais à décrire cette espèce d'image qu'on a à côté de soi, qui à la fois ricane et puis vous guide malgré tout, alors je dirais que je suis un artisan, et aussi (...) une sorte d'artificier. Je considère mes livres comme des mines, des paquets d'explosifs... Ce que j'espère qu'ils sont !
Dans mon esprit, ces livres ont à produire un certain effet, et pour cela il faut mettre le paquet, pour parler vulgairement. Mais le livre doit disparaître par son effet même, et dans son effet même. « L'écriture » n'est qu'un moyen, ce n'est pas le but. (...)
J'imaginerai plutôt mes livres comme des billes qui roulent. Vous les captez, vous les prenez, vous les relancez. Et si ça marche, tant mieux. (...)
[Pour moi, écrire] n'est absolument pas une nécessité. Je n'ai jamais considéré que c'était un honneur que d'écrire ou un privilège, ou quoi que ce soit d'extraordinaire. Je dis souvent : ah, quand viendra le jour où je n'écrirai plus ! Ce n'est pas le rêve d'aller au désert, ou simplement à la plage, mais de faire autre chose que d'écrire. Je le dis aussi en un sens plus précis, qui est : quand est-ce que je me mettrai à écrire sans qu'écrire soit « de l'écriture » ? Sans cette espèce de solennité qui sent l'huile.
Les choses que je publie, elles sont écrites, au mauvais sens du terme : ça sent « l'écriture ». Et quand je me mets au travail, c'est de « l'écriture », ça implique tout un rituel, toute une difficulté. Je me mets dans un tunnel, je ne veux voir personne, alors que j'aimerais au contraire avoir une écriture facile, de premier jet. Et ça, je n'y arrive absolument pas. Et il faut le dire, parce que ce n'est pas la peine de tenir de grands discours contre « l'écriture » si on ne sait pas que j'ai tant de mal à ne pas « écrire » quand je me mets à écrire. Je voudrais échapper à cette activité enfermée, solennelle, repliée sur soi qui est pour moi l'activité de mettre des mots sur le papier. (...)
Le plaisir que j'y prends est tout de même très opposé à ce que je voudrais que soit l'écriture. J'aimerais que ce soit un truc qui passe, qu'on jette comme ça, qu'on écrit sur un coin de table, qu'on donne, qui circule, qui aurait pu être un tract, une affiche, un fragment de film, un discours public, n'importe quoi... Encore une fois, je n'arrive pas à écrire ainsi. Bien sûr, j'y ai mon plaisir, je découvre des petits trucs, mais je n'ai pas plaisir à prendre ce plaisir.
J'éprouve à son égard un sentiment de malaise, parce que je rêverais d'un tout autre plaisir que celui, bien familier, de tous les gens qui écrivent. On s'enferme, le papier est blanc, on n'a aucune idée, et puis, petit à petit, au bout de deux heures, ou de deux jours, ou de deux semaines, à l'intérieur même de l'activité d'écrire, un tas de choses sont devenues présentes. Le texte existe, on en sait beaucoup plus qu'avant. On avait la tête vide, on l'a pleine, car l'écriture ne vide pas, elle remplit. De son propre vide on fait une pléthore. Tout le monde connaît ça. Ça ne m'amuse pas !
[Je rêve d’] Une écriture discontinue, qui ne s'apercevrait pas qu'elle est une écriture, qui se servirait du papier blanc, ou de la machine, ou du porte-plume, ou du clavier, comme ça, au milieu de tas d'autres choses qui pourraient être le pinceau ou la caméra. Tout ça passant très rapidement de l'un à l'autre, une sorte de fébrilité et de chaos (...)
mais il me manque cette espèce de je-ne-sais-quoi de fébrilité ou de talent, les deux sans doute. Finalement, je suis toujours renvoyé à l'écriture. Alors je rêve de textes brefs. Mais ça donne toujours de gros livres ! Malgré tout, je rêve toujours d'écrire un genre de livre tel que la question : « D'où ça vient ? » n'ait pas de sens. Je rêve d'une pensée vraiment instrumentale. Peu importe d'où elle vient. Ça tombe comme ça. L'essentiel, c'est qu'on ait entre les mains un instrument avec lequel on va pouvoir aborder la psychiatrie, ou le problème des prisons. (...)
L'individualité, l'identité individuelle sont des produits du pouvoir. C'est pour cela que je m'en méfie, et que je m'efforce de défaire ces pièges.
La seule vérité de l'« Histoire de la folie », ou de « Surveiller et punir », c'est qu'il y ait des gens qui s'en servent, et se battent avec. C'est la seule vérité que je cherche. La question « D'où est-ce que ça vient ? est-ce que c'est marxiste ? » me paraît finalement une question d'identité, donc une question policière. (...)
S'il y a chez Marx des choses vraies, on peut les utiliser comme instruments sans avoir à les citer, les reconnaîtra qui veut bien ! Ou qui en est capable... (...)
Pourtant, c'est bien de guerre qu'il s'agit, puisque mon discours est instrumental, comme sont instrumentales une armée, ou simplement une arme. Ou encore un sac de poudre, ou un cocktail Molotov. Vous voyez, cette histoire d'artificier, on y revient.
(M.F.)
cf. compris c'est compris
cf. à l'intellecteur parfait
cf. devenir-bête-intellectuelle
(G.D.)
(...) ce qui importe, c’est moins l’expression que l’impression. Un livre de philosophie, c’est à la fois un livre difficile mais c’est aussi un livre tout à fait accessible, une boîte à outils formidablement ouverte pourvu qu’à ce moment on en ait besoin, envie. [Il] offre des effets de connaissance...
(G.D.)
Il y a des auteurs, il y a des penseurs... Traitez-les comme des grands peintres. (...) en philosophie il y a autant de création qu’ailleurs, c’est comme la peinture, c’est comme la musique.
(G.D.)
(...) les bonnes manières de lire aujourd’hui, c’est d’arriver à traiter un livre comme on écoute un disque, comme on regarde un film ou une émission télé, comme on reçoit une chanson : tout traitement du livre qui réclamerait pour lui un respect spécial, une attention d’une autre sorte, vient d’un autre âge et condamne définitivement le livre. Il n’y aucune question de difficulté ni de compréhension : les concepts sont exactement comme des sons, des couleurs ou des images, ce sont des intensités qui vous conviennent ou non, qui passent ou ne passent pas. Pop’philosophie. Il n’y a rien à comprendre, rien à interpréter. (...) Proust dit : « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres tous les contresens qu’on fait sont beaux. » C’est la bonne manière de lire : tous les contresens sont bons, à condition toutefois qu’ils ne consistent pas en interprétations, mais qu’ils concernent l’usage du livre, qu’ils en multiplient l’usage, qu’ils fassent encore une langue à l’intérieur de sa langue.
(G.D.)
(...) le seul problème est « est-ce que ça fonctionne, et comment ça fonctionne ? » Comment ça fonctionne pour vous ? Si ça ne fonctionne pas, si rien ne passe, prenez donc un autre livre. Cette autre lecture, c’est une lecture en intensité : quelque chose passe ou ne passe pas. Il n’y a rien à expliquer, rien à comprendre, rien à interpréter. C’est du type branchement électrique. (...) Cette autre manière de lire (...) rapporte immédiatement un livre au Dehors. Un livre, c’est un petit rouage dans une machinerie beaucoup plus complexe extérieure. Écrire, c’est un flux parmi d’autres, et qui n’a aucun privilège par rapport aux autres, et qui entre dans des rapports de courant, de contre-courant, de remous avec d’autres flux, flux de merde, de sperme, de parole, d’action, d’érotisme, de monnaie, de politique, etc.
(G.D.)
C´est tout simple, écrire. On bien c´est une manière de se re-territorialiser, de se conformer à un code d´enoncés dominants, à un territoire d´état de choses établies : non seulement les écoles et les auteurs, mais tous les professionnels d´une écriture même non littéraire. Ou bien, au contraire, c´est devenir, devenir autre chose qu´écrivain, puisque, en même temps, ce qu´on devient devient autre chose qu´écriture. Tout devenir ne passe pas par l´écriture, mais tout ce qui devient est objet d´écriture, de peinture ou de musique. Tout ce qui devient est une pure ligne, qui cesse de représenter quoi que ce soit. (...) On trace une ligne, et d´autant plus forte qu´elle est abstraite, si elle est assez sobre et sans figures. (...) Ca veut dire écrire comme un rat trace une ligne, ou comme il tord sa queue, comme un oiseau lance un son, comme un félin bouge, ou bien dort pesamment.
(G.D.)
Je crois qu'il faut avoir une conscience artisanale dans ce domaine. De même qu'il faut bien faire un sabot, il faut bien faire un livre. Cela vaut d'ailleurs pour n'importe quel paquet de phrases imprimées, que ce soit dans un journal ou une revue. Pour moi, l'écriture n'est rien d'autre que cela. Elle doit servir au livre. Ce n'est pas le livre qui sert cette grande entité, si sacralisée maintenant, que serait « l'écriture ». (...)
Mais il y a aussi le fait que, si on veut qu'il devienne un instrument dont d'autres pourront se servir, il faut que le livre fasse plaisir à ceux qui le lisent. Ça me paraît être le devoir élémentaire de celui qui livre cette marchandise ou cet objet artisanal : il faut que ça puisse faire plaisir ! (...)
Que des trouvailles ou des astuces de style fassent plaisir à celui qui écrit, et à celui qui lit, je trouve ça très bien. Il n'y a aucune raison que je me refuse ce plaisir, de même qu'il n'y a pas de raison que j'impose de s'ennuyer à des gens dont je souhaite qu'ils lisent mon livre. Il s'agit de parvenir à quelque chose d'absolument transparent au niveau de ce qui est dit, avec tout de même une espèce de surface de chatoiement qui fasse qu'on ait plaisir à caresser le texte, à l'utiliser, à y repenser, à le reprendre. C'est ma morale du livre.
Mais ce n'est pas, encore une fois, « de l'écriture ». Je n'aime pas l'écriture. Etre écrivain me paraît véritablement dérisoire. Si j'avais à me définir, à donner de moi une définition prétentieuse, si j'avais à décrire cette espèce d'image qu'on a à côté de soi, qui à la fois ricane et puis vous guide malgré tout, alors je dirais que je suis un artisan, et aussi (...) une sorte d'artificier. Je considère mes livres comme des mines, des paquets d'explosifs... Ce que j'espère qu'ils sont !
Dans mon esprit, ces livres ont à produire un certain effet, et pour cela il faut mettre le paquet, pour parler vulgairement. Mais le livre doit disparaître par son effet même, et dans son effet même. « L'écriture » n'est qu'un moyen, ce n'est pas le but. (...)
J'imaginerai plutôt mes livres comme des billes qui roulent. Vous les captez, vous les prenez, vous les relancez. Et si ça marche, tant mieux. (...)
[Pour moi, écrire] n'est absolument pas une nécessité. Je n'ai jamais considéré que c'était un honneur que d'écrire ou un privilège, ou quoi que ce soit d'extraordinaire. Je dis souvent : ah, quand viendra le jour où je n'écrirai plus ! Ce n'est pas le rêve d'aller au désert, ou simplement à la plage, mais de faire autre chose que d'écrire. Je le dis aussi en un sens plus précis, qui est : quand est-ce que je me mettrai à écrire sans qu'écrire soit « de l'écriture » ? Sans cette espèce de solennité qui sent l'huile.
Les choses que je publie, elles sont écrites, au mauvais sens du terme : ça sent « l'écriture ». Et quand je me mets au travail, c'est de « l'écriture », ça implique tout un rituel, toute une difficulté. Je me mets dans un tunnel, je ne veux voir personne, alors que j'aimerais au contraire avoir une écriture facile, de premier jet. Et ça, je n'y arrive absolument pas. Et il faut le dire, parce que ce n'est pas la peine de tenir de grands discours contre « l'écriture » si on ne sait pas que j'ai tant de mal à ne pas « écrire » quand je me mets à écrire. Je voudrais échapper à cette activité enfermée, solennelle, repliée sur soi qui est pour moi l'activité de mettre des mots sur le papier. (...)
Le plaisir que j'y prends est tout de même très opposé à ce que je voudrais que soit l'écriture. J'aimerais que ce soit un truc qui passe, qu'on jette comme ça, qu'on écrit sur un coin de table, qu'on donne, qui circule, qui aurait pu être un tract, une affiche, un fragment de film, un discours public, n'importe quoi... Encore une fois, je n'arrive pas à écrire ainsi. Bien sûr, j'y ai mon plaisir, je découvre des petits trucs, mais je n'ai pas plaisir à prendre ce plaisir.
J'éprouve à son égard un sentiment de malaise, parce que je rêverais d'un tout autre plaisir que celui, bien familier, de tous les gens qui écrivent. On s'enferme, le papier est blanc, on n'a aucune idée, et puis, petit à petit, au bout de deux heures, ou de deux jours, ou de deux semaines, à l'intérieur même de l'activité d'écrire, un tas de choses sont devenues présentes. Le texte existe, on en sait beaucoup plus qu'avant. On avait la tête vide, on l'a pleine, car l'écriture ne vide pas, elle remplit. De son propre vide on fait une pléthore. Tout le monde connaît ça. Ça ne m'amuse pas !
[Je rêve d’] Une écriture discontinue, qui ne s'apercevrait pas qu'elle est une écriture, qui se servirait du papier blanc, ou de la machine, ou du porte-plume, ou du clavier, comme ça, au milieu de tas d'autres choses qui pourraient être le pinceau ou la caméra. Tout ça passant très rapidement de l'un à l'autre, une sorte de fébrilité et de chaos (...)
mais il me manque cette espèce de je-ne-sais-quoi de fébrilité ou de talent, les deux sans doute. Finalement, je suis toujours renvoyé à l'écriture. Alors je rêve de textes brefs. Mais ça donne toujours de gros livres ! Malgré tout, je rêve toujours d'écrire un genre de livre tel que la question : « D'où ça vient ? » n'ait pas de sens. Je rêve d'une pensée vraiment instrumentale. Peu importe d'où elle vient. Ça tombe comme ça. L'essentiel, c'est qu'on ait entre les mains un instrument avec lequel on va pouvoir aborder la psychiatrie, ou le problème des prisons. (...)
L'individualité, l'identité individuelle sont des produits du pouvoir. C'est pour cela que je m'en méfie, et que je m'efforce de défaire ces pièges.
La seule vérité de l'« Histoire de la folie », ou de « Surveiller et punir », c'est qu'il y ait des gens qui s'en servent, et se battent avec. C'est la seule vérité que je cherche. La question « D'où est-ce que ça vient ? est-ce que c'est marxiste ? » me paraît finalement une question d'identité, donc une question policière. (...)
S'il y a chez Marx des choses vraies, on peut les utiliser comme instruments sans avoir à les citer, les reconnaîtra qui veut bien ! Ou qui en est capable... (...)
Pourtant, c'est bien de guerre qu'il s'agit, puisque mon discours est instrumental, comme sont instrumentales une armée, ou simplement une arme. Ou encore un sac de poudre, ou un cocktail Molotov. Vous voyez, cette histoire d'artificier, on y revient.
(M.F.)
cf. compris c'est compris
cf. à l'intellecteur parfait
cf. devenir-bête-intellectuelle
2010-02-20
2010-02-19
premier esthèthe ?
Bien sûr, quelques classiques comme le Flaubert ou la Poésie de Stéphane Mallarmé, son premier livre, demeuraient lus par les étudiants, mais la structure de la pensée d'Albert Thibaudet, sa vision critique, était renvoyée aux oubliettes de l'histoire littéraire (...)
pour réapprendre à vivre la littérature sous l'œil précis et exalté d'Albert Thibaudet. (...)
Né le 1er avril 1874 (...) C'est en 1911 que tout se joue. Jusqu'alors régulier d'une grande revue, (...) Albert Thibaudet ne décolle pas du lot des critiques littéraires : il n'a pas d'œuvre, et l'étiquette de critique, si elle confine au raffinement pour certains, n'ouvre pas autant de portes que celle de poète, aussi médiocre soit-il par ailleurs... Le tout puissant André Gide avait été sensible à l'article que lui consacre Thibaudet, à propos de La Porte étroite en 1909, et il le fait entrer à la NRF, pour très vite lui confier le poste de Marcel Drouin qui tient plutôt mal que bien la « chronique de la littérature ». Dès mars 1912, Thibaudet en est titulaire, et il en fait ses « Réflexions sur la littérature » en 1914. Mais de 1911 date également la parution de son premier livre de critique littéraire, La Poésie de Stéphane Mallarmé (commencé en 1907), qui fait de lui, immédiatement, par la clarté de ses vues et la rigueur de son engagement pour le texte, une référence. (...) parce qu'il se concentre sur ce que dit le poète en tâchant — avec succès — de définir par la reconstruction pure la personnalité artistique et poétique du génie de Stéphane Mallarmé. (...)
« […] le style de Thibaudet, qui en a analysé tant d'autres, est inimitable, dans son mélange de rigueur et de détente, de précision et de fantaisie poétique, de sérieux et de gaieté qui ne nuit pas à la finesse. » (Jean-Yves Tadié, avant-propos à La Poésie de Stéphane Mallarmé d'Albert Thibaudet)
(...) Thibaudet est un des premiers, sinon le premier, à instaurer un rapport réellement critique aux textes et à fonder cette relation par l'analyse du style et des motifs littéraires. Par le style, il ne faut pas entendre qu'il étudie les différentes figures de rhétorique utilisées par son auteur en un gradus fastidieux, non, il développe une lecture globale par laquelle il montre quel est le style propre — le génie — de l'auteur, et cela dès 1922 avec son magistral Flaubert, dont une grande partie n'est que cela, la recherche de l'identité stylistique du maître de Croisset. Avant la « révolution » de la génétique, Thibaudet avait déjà compris que l'artiste se dévoile par le corps caché de son texte et que ce dévoilement recèle la part la plus intéressante des œuvres.
Et au-delà, encore, la recherche de Thibaudet vise, pas moins, à retrouver le sens des œuvres, à leur rendre leur vérité ontologique. L'étude stylistique doit (...) être — c'est de son temps, Paul Bourget et Henri Bordeaux étaient les grands auteurs d'alors et la psychologie régnait presque sans partage — une psychologie. Or, sous l'influence de Bergson notamment, Thibaudet ne va pas se limiter à la psychologie, il va s'efforcer de repérer les mots et les figures utilisés par son auteur pour en tirer un portrait en artiste et en créateur dont la vérité sourd des œuvres, manière à lui de se dire et de se cacher en même temps.
Enfin, Thibaudet n'exclut jamais l'artiste de son époque, mais il n'en fait pas pour autant le sujet de son temps ou de son environnement, comme Taine par exemple. L'artiste, chez Thibaudet, est libre et, à la fois, prend son essence dans un contexte générationnel. Ceux qui copient l'art de leur époque ne sont pas des artistes, ceci est à préciser. Mais ceux qui, répondant à leur génie propre, proposent des formes et des figures artistiques similaires ou proches de leurs contemporains. Il faut comprendre une exigence profonde qui forme sinon une école du moins une sensibilité de génération. (...)
D'Albert Thibaudet (...) il faut retenir (...) une compréhension du génie de chaque artiste comme part d'un mouvement qui l'englobe et dont il ne dépend pas forcément, car le concept de génération n'impose rien à l'artiste ni à l'œuvre, il pose un fait : ceux qui se posent les mêmes questions en même temps ne sont pas étrangers les uns aux autres. (...)
Une place rare et essentielle : celle d'une précurseur talentueux et simple...
(L.d.S.)
cf. esthéthique ®
pour réapprendre à vivre la littérature sous l'œil précis et exalté d'Albert Thibaudet. (...)
Né le 1er avril 1874 (...) C'est en 1911 que tout se joue. Jusqu'alors régulier d'une grande revue, (...) Albert Thibaudet ne décolle pas du lot des critiques littéraires : il n'a pas d'œuvre, et l'étiquette de critique, si elle confine au raffinement pour certains, n'ouvre pas autant de portes que celle de poète, aussi médiocre soit-il par ailleurs... Le tout puissant André Gide avait été sensible à l'article que lui consacre Thibaudet, à propos de La Porte étroite en 1909, et il le fait entrer à la NRF, pour très vite lui confier le poste de Marcel Drouin qui tient plutôt mal que bien la « chronique de la littérature ». Dès mars 1912, Thibaudet en est titulaire, et il en fait ses « Réflexions sur la littérature » en 1914. Mais de 1911 date également la parution de son premier livre de critique littéraire, La Poésie de Stéphane Mallarmé (commencé en 1907), qui fait de lui, immédiatement, par la clarté de ses vues et la rigueur de son engagement pour le texte, une référence. (...) parce qu'il se concentre sur ce que dit le poète en tâchant — avec succès — de définir par la reconstruction pure la personnalité artistique et poétique du génie de Stéphane Mallarmé. (...)
« […] le style de Thibaudet, qui en a analysé tant d'autres, est inimitable, dans son mélange de rigueur et de détente, de précision et de fantaisie poétique, de sérieux et de gaieté qui ne nuit pas à la finesse. » (Jean-Yves Tadié, avant-propos à La Poésie de Stéphane Mallarmé d'Albert Thibaudet)
(...) Thibaudet est un des premiers, sinon le premier, à instaurer un rapport réellement critique aux textes et à fonder cette relation par l'analyse du style et des motifs littéraires. Par le style, il ne faut pas entendre qu'il étudie les différentes figures de rhétorique utilisées par son auteur en un gradus fastidieux, non, il développe une lecture globale par laquelle il montre quel est le style propre — le génie — de l'auteur, et cela dès 1922 avec son magistral Flaubert, dont une grande partie n'est que cela, la recherche de l'identité stylistique du maître de Croisset. Avant la « révolution » de la génétique, Thibaudet avait déjà compris que l'artiste se dévoile par le corps caché de son texte et que ce dévoilement recèle la part la plus intéressante des œuvres.
Et au-delà, encore, la recherche de Thibaudet vise, pas moins, à retrouver le sens des œuvres, à leur rendre leur vérité ontologique. L'étude stylistique doit (...) être — c'est de son temps, Paul Bourget et Henri Bordeaux étaient les grands auteurs d'alors et la psychologie régnait presque sans partage — une psychologie. Or, sous l'influence de Bergson notamment, Thibaudet ne va pas se limiter à la psychologie, il va s'efforcer de repérer les mots et les figures utilisés par son auteur pour en tirer un portrait en artiste et en créateur dont la vérité sourd des œuvres, manière à lui de se dire et de se cacher en même temps.
Enfin, Thibaudet n'exclut jamais l'artiste de son époque, mais il n'en fait pas pour autant le sujet de son temps ou de son environnement, comme Taine par exemple. L'artiste, chez Thibaudet, est libre et, à la fois, prend son essence dans un contexte générationnel. Ceux qui copient l'art de leur époque ne sont pas des artistes, ceci est à préciser. Mais ceux qui, répondant à leur génie propre, proposent des formes et des figures artistiques similaires ou proches de leurs contemporains. Il faut comprendre une exigence profonde qui forme sinon une école du moins une sensibilité de génération. (...)
D'Albert Thibaudet (...) il faut retenir (...) une compréhension du génie de chaque artiste comme part d'un mouvement qui l'englobe et dont il ne dépend pas forcément, car le concept de génération n'impose rien à l'artiste ni à l'œuvre, il pose un fait : ceux qui se posent les mêmes questions en même temps ne sont pas étrangers les uns aux autres. (...)
Une place rare et essentielle : celle d'une précurseur talentueux et simple...
(L.d.S.)
cf. esthéthique ®
2010-02-18
mauvaise foi de rigueur
Le patineur B.J. a avancé des problèmes personnels pour expliquer sa contre-performance lors du programme court des jeux Olympiques de Vancouver, mais le président de la Fédération française, D.G., lui reproche des erreurs de choix et un manque de rigueur.
« Mes problèmes ne viennent pas de la patinoire mais de ma vie personnelle. J'ai perdu beaucoup d'énergie à l'extérieur de la patinoire", s'est justifié le champion (...) [et d']expliquer que depuis deux ans, il n'était plus le même, en raison de problèmes privés, dont il n'a pas révélé la nature.
Si le président de la Fédération française des Sports de glace (...) connaît les soucis de son athlète, il estime que cela n'est pas une excuse parce qu'ils sont « derrière lui ». « Le problème de B. en ce moment, c'est B.", assure D.G.
« Il n'a pas respecté les règles du comportement d'un athlète de haut niveau », accuse D.G., « déjà en ne voulant pas s'exiler de temps à autre. Deuxièmement, en ne voulant pas appliquer la quantité de travail nécessaire. Et troisièmement, en ne participant pas à assez d'épreuves. »
Le président a eu une longue mise au point de deux heures mercredi matin avec B.J. : « Ça fait un an, voire plus, que tu triches en permanence, avec toi. C'est avec toi que tu triches », lui a-t-il asséné.
D.G. a reproché à B.J. de n'en faire qu'à sa tête et d'imposer ses choix, dictés par le souci de rester dans son cocon à Poitiers. (...)
Talentueux, B.J. en a oublié qu'il fallait travailler pour réussir et a sévèrement manqué de rigueur tout au long de cette saison. Ses débuts ont été annonciateurs d'une année vouée à l'échec. (...) Aux Jeux, qu'il a perdus bien avant d'entrer sur la glace mardi, c'est la dégringolade. (...)
« On est à fond derrière lui pour la continuité d'une carrière mais qu'il faut baliser. On fait année par année, six mois par six mois et on se donne les moyens de réussir », propose D.G. (...)
Désormais c'est à B.J. de prendre son destin en mains.
« Je dois changer certaines choses dans mon attitude. Depuis deux ans, mon attitude n'est pas ce qu'elle devrait être, je ne suis plus la même personne. Je ne suis pas moi-même », a encore estimé [le jeune athlète]. « Je savais que les choses n'étaient pas comme elles devaient l'être, mais je n'ai pas su réagir en conséquence. Je sais ce que je dois faire mais ce n'est pas facile. Ce n'était pas le bon moment pour me rendre compte de ce qui n'allait pas », a encore tenté d'expliquer B.J.
cf. d'mauvaise foi
cf. le dommage et l'entrouverture
cf. manque de philosophie
« Mes problèmes ne viennent pas de la patinoire mais de ma vie personnelle. J'ai perdu beaucoup d'énergie à l'extérieur de la patinoire", s'est justifié le champion (...) [et d']expliquer que depuis deux ans, il n'était plus le même, en raison de problèmes privés, dont il n'a pas révélé la nature.
Si le président de la Fédération française des Sports de glace (...) connaît les soucis de son athlète, il estime que cela n'est pas une excuse parce qu'ils sont « derrière lui ». « Le problème de B. en ce moment, c'est B.", assure D.G.
« Il n'a pas respecté les règles du comportement d'un athlète de haut niveau », accuse D.G., « déjà en ne voulant pas s'exiler de temps à autre. Deuxièmement, en ne voulant pas appliquer la quantité de travail nécessaire. Et troisièmement, en ne participant pas à assez d'épreuves. »
Le président a eu une longue mise au point de deux heures mercredi matin avec B.J. : « Ça fait un an, voire plus, que tu triches en permanence, avec toi. C'est avec toi que tu triches », lui a-t-il asséné.
D.G. a reproché à B.J. de n'en faire qu'à sa tête et d'imposer ses choix, dictés par le souci de rester dans son cocon à Poitiers. (...)
Talentueux, B.J. en a oublié qu'il fallait travailler pour réussir et a sévèrement manqué de rigueur tout au long de cette saison. Ses débuts ont été annonciateurs d'une année vouée à l'échec. (...) Aux Jeux, qu'il a perdus bien avant d'entrer sur la glace mardi, c'est la dégringolade. (...)
« On est à fond derrière lui pour la continuité d'une carrière mais qu'il faut baliser. On fait année par année, six mois par six mois et on se donne les moyens de réussir », propose D.G. (...)
Désormais c'est à B.J. de prendre son destin en mains.
« Je dois changer certaines choses dans mon attitude. Depuis deux ans, mon attitude n'est pas ce qu'elle devrait être, je ne suis plus la même personne. Je ne suis pas moi-même », a encore estimé [le jeune athlète]. « Je savais que les choses n'étaient pas comme elles devaient l'être, mais je n'ai pas su réagir en conséquence. Je sais ce que je dois faire mais ce n'est pas facile. Ce n'était pas le bon moment pour me rendre compte de ce qui n'allait pas », a encore tenté d'expliquer B.J.
cf. d'mauvaise foi
cf. le dommage et l'entrouverture
cf. manque de philosophie
2010-02-17
2010-02-16
2010-02-15
femme sans enfant sans façon
Comment cela : vous n’avez pas d’enfant ? Vous n’êtes pas une mère ? Vous n’avez jamais désiré un bébé ? Impossible ! Toute femme désire un bébé. C’est son instinct, l’accomplissement de sa nature. Une femme sans enfant est une femme inachevée. Elle mérite à peine ce nom. Pour cet être contre nature, il faudrait inventer un autre terme. (...) Me reviennent en mémoire les mots d’un médecin exaspéré de devoir être complice d’une femme aussi peu concernée par ses virtualités de reproduction : « Vous n’êtes pas fatiguée à la longue d’avaler des contraceptifs ? » Non, je n’étais pas fatiguée. Du tout. Je trouvais même que la pilule avait bon goût. Par contre, croyais-je, et c’était quand même à moi d’évaluer mes capacités d’endurance, je serais fatiguée d’élever une famille. Chacun son point faible. (...) Il ne voulait pas en entendre davantage ; je n’avais pas envie d’en dire plus. Face à une hostilité que viennent conforter, dans une unanimité confondante, aussi bien la loi de l’espèce que le commandement de la religion et la bénédiction des médias, comment me défendre ? Que pourrais-je dire ? Que rien dans cette histoire ne m’a jamais attirée, ni la grossesse, ni l’accouchement, ni le quotidien de nourrir un enfant, de m’en occuper, de l’éduquer. (...) Que je n’ai pas d’énergie pour ce qui risque de durer toujours, pour ce qui ne vit pas au rythme des « intermittences du coeur ». J’aurais pu dire aussi que j’habitais des chambres trop petites, d’où je déménageais trop souvent. Que j’avais du mariage un imaginaire nul et un sens des responsabilités inexistant. Que j’étais égoïste, infantile, trop portée à m’amuser pour m’intéresser aux jeux d’un autre. (...) J’ai observé de jeunes enfants avec des mères : ils n’arrêtent pas de les interrompre ! Le temps fragmenté, en réalité, c’est celui de la mère de famille. Et il relève de son savoir-faire et de sa discrétion d’en masquer l’épuisante répétition, l’aliénant labeur. Comme l’écrit marguerite duras, la femme au foyer « doit inventer son emploi du temps conformément à celui des autres gens, des gens de sa famille et de ceux des institutions extérieures (...). Une bonne mère de famille, pour les hommes, c’est quand la femme fait de cette discontinuité de son temps, une continuité silencieuse et inapparente. » Tu verras, à ton tour, quand tu auras des enfants, me disait ma mère. Eh bien ! Je n’ai pas vu. J’ai sauté mon tour...
Je me tais. Je n’ai rien à évoquer. Aucune raison convaincante. C’est un thème sur lequel il ne m’importe pas de faire des adeptes. Un thème inconsistant à mes yeux. D’où le silence des femmes sans enfant. Il contraste avec l’intarissable parole des mères et sur les mères. Avec l’omniprésence des Vierges à l’Enfant. (...)
Une femme qui refuse la maternité est verbalement moins excitées — moins [«]philosophique[»] et déclamatoire. Faible avocate de sa cause, minoritaire dans son propre sexe...
(C.T.)
cf. jeu d'adulpte
cf. de génération sans génération
cf. la maternité en question
Je me tais. Je n’ai rien à évoquer. Aucune raison convaincante. C’est un thème sur lequel il ne m’importe pas de faire des adeptes. Un thème inconsistant à mes yeux. D’où le silence des femmes sans enfant. Il contraste avec l’intarissable parole des mères et sur les mères. Avec l’omniprésence des Vierges à l’Enfant. (...)
Une femme qui refuse la maternité est verbalement moins excitées — moins [«]philosophique[»] et déclamatoire. Faible avocate de sa cause, minoritaire dans son propre sexe...
(C.T.)
cf. jeu d'adulpte
cf. de génération sans génération
cf. la maternité en question
2010-02-14
2010-02-13
2010-02-12
dis court de la servitude volontaire
Mais à la réflexion, c’est un malheur extrême que d’être assujetti à un maître dont on ne peut jamais être assuré de la bonté, et qui a toujours le pouvoir d’être méchant quand il le voudra. Quant à obéir à plusieurs maîtres, c’est être autant de fois extrêmement malheureux. (...)
Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire. Chose vraiment étonnante - et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en ébahir -, de voir un million d’hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient pas redouter - puisqu’il est seul - ni aimer - puisqu’il est envers eux tous inhumain et cruel. (...) Il ne faut pas s’étonner (...) mais bien le déplorer. Ou plutôt, ne s’en étonner ni ne s’en plaindre, mais supporter le malheur avec patience, et se réserver pour un avenir meilleur. (...)
Or ce tyran seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni de l’abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à sa servitude. Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui donner. Pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en cessant de servir. C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche... S’il lui coûtait quelque chose pour recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais pas ; même si ce qu’il doit avoir le plus à cœur est de rentrer dans ses droits naturels et, pour ainsi dire, de bête redevenir homme. Mais je n’attends même pas de lui une si grande hardiesse ; j’admets qu’il aime mieux je ne sais quelle assurance de vivre misérablement qu’un espoir douteux de vivre comme il l’entend. (...) comme le feu d’une petite étincelle grandit et se renforce toujours, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et finit par s’éteindre de lui-même quand on cesse de l’alimenter, de même, plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit, plus on les sert. Ils se fortifient d’autant, deviennent de plus en plus frais et dispos pour tout anéantir et tout détruire. Mais si on ne leur fournit rien, si on ne leur obéit pas, sans les combattre, sans les frapper, ils restent nus et défaits et ne sont plus rien, de même que la branche, n’ayant plus de suc ni d’aliment à sa racine, devient sèche et morte.
(...) L’énergie d’y prétendre leur est ravie par leur propre lâcheté ; il ne leur reste que le désir naturel de le posséder. Ce désir, cette volonté commune aux sages et aux imprudents, aux courageux et aux couards, leur fait souhaiter toutes les choses dont la possession les rendrait heureux et contents. Il en est une seule que les hommes, je ne sais pourquoi, n’ont pas la force de désirer : c’est la liberté, bien si grand et si doux ! Dès qu’elle est perdue, tous les maux s’ensuivent, et sans elle tous les autres biens, corrompus par la servitude, perdent entièrement leur goût et leur saveur. La liberté, les hommes la dédaignent uniquement, semble-t-il, parce que s’ils la désiraient, ils l’auraient ; comme s’ils refusaient de faire cette précieuse acquisition parce qu’elle est trop aisée.
Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres ! Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ? Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? Comment oserait-il vous assaillir, s’il n’était d’intelligence avec vous ? (...)
Vous vous affaiblissez afin qu’il soit plus fort, et qu’il vous tienne plus rudement la bride plus courte. Et de tant d’indignités que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir.
Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.
Les médecins conseillent justement de ne pas chercher à guérir les plaies incurables, et peut-être ai-je tort de vouloir ainsi exhorter un peuple qui semble avoir perdu depuis longtemps toute connaissance de son mal - ce qui montre assez que sa maladie est mortelle. Cherchons donc à comprendre, si c’est possible, comment cette opiniâtre volonté de servir s’est enracinée si profond qu’on croirait que l’amour même de la liberté n’est pas si naturel. (...)
La liberté est donc naturelle ; c’est pourquoi, à mon avis, nous ne sommes pas seulement nés avec elle, mais aussi avec la passion de la défendre.
Et s’il s’en trouve par hasard qui en doutent encore - abâtardis au point de ne pas reconnaître leurs dons ni leurs passions natives -, il faut que je leur fasse l’honneur qu’ils méritent et que je hisse, pour ainsi dire, les bêtes brutes en chaire, pour leur enseigner leur nature et leur condition. Les bêtes, Dieu me soit en aide, si les hommes veulent bien les entendre, leur crient : « Vive la liberté ! » Plusieurs d’entre elles meurent aussitôt prises. Tel le poisson qui perd la vie sitôt tiré de l’eau, elles se laissent mourir pour ne point survivre à leur liberté naturelle. Si les animaux avaient entre eux des prééminences, ils feraient de cette liberté leur noblesse. D’autres bêtes, des plus grandes aux plus petites, lorsqu’on les prend, résistent si fort des ongles, des cornes, du bec et du pied qu’elles démontrent assez quel prix elles accordent à ce qu’elles perdent. Une fois prises, elles nous donnent tant de signes flagrants de la connaissance de leur malheur qu’il est beau de les voir alors languir plutôt que vivre, et gémir sur leur bonheur perdu plutôt que de se plaire en servitude. Que veut dire d’autre l’éléphant lorsque, s’étant défendu jusqu’au bout, sans plus d’espoir, sur le point d’être pris, il enfonce ses mâchoires et casse ses dents contre les arbres, sinon que son grand désir de demeurer libre lui donne de l’esprit et l’avise de marchander avec les chasseurs : à voir s’il pourra s’acquitter par le prix de ses dents et si son ivoire, laissé pour rançon, rachètera sa liberté ?
Nous flattons le cheval dès sa naissance pour l’habituer à servir. Nos caresses ne l’empêchent pas de mordre son frein, de ruer sous l’éperon lorsqu’on veut le dompter. Il veut témoigner par là, ce me semble, qu’il ne sert pas de son gré, mais bien sous notre contrainte. Que dire encore ?
« Même les bœufs, sous le joug, geignent, et les oiseaux, en cage, se plaignent. » Je l’ai dit autrefois en vers... (...)
(...) Car pour que les hommes, tant qu’ils sont des hommes, se laissent assujettir, il faut de deux choses l’une : ou qu’ils y soient contraints, ou qu’ils soient trompés. (...) Ils perdent souvent leur liberté en étant trompés, mais sont moins souvent séduits par autrui qu’ils ne se trompent eux-mêmes. (...)
Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude.
Il est vrai qu’au commencement on sert contraint et vaincu par la force ; mais les successeurs servent sans regret et font volontiers ce que leurs devanciers avaient fait par contrainte. Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance. (...)
Mais l’habitude, qui exerce en toutes choses un si grand pouvoir sur nous, a surtout celui de nous apprendre à servir et, comme on le raconte de Mithridate, qui finit par s’habituer au poison, celui de nous apprendre à avaler le venin de la servitude sans le trouver amer. Nul doute que la nature nous dirige là où elle veut, bien ou mal lotis, mais il faut avouer qu’elle a moins de pouvoir sur nous que l’habitude. Si bon que soit le naturel, il se perd s’il n’est entretenu, et l’habitude nous forme toujours à sa manière, en dépit de la nature. Les semences de bien que la nature met en nous sont si menues, si frêles, qu’elles ne peuvent résister au moindre choc d’une habitude contraire. (...)
On raconte que Lycurgue, le législateur de Sparte, avait nourri deux chiens, tous deux frères, tous deux allaités au même lait. L’un était engraissé à la cuisine, l’autre habitué à courir les champs au son de la trompe et du cornet. Voulant montrer aux Lacédémoniens que les hommes sont tels que la culture les a faits, il exposa les deux chiens sur la place publique et mit entre eux une soupe et un lièvre. L’un courut au plat, l’autre au lièvre. Et pourtant, dit-il, ils sont frères !
Celui-là, avec ses lois et son art politique, éduqua et forma si bien les Lacédémoniens que chacun d’eux préférait souffrir mille morts plutôt que de se soumettre à un autre maître que la loi et la raison. (...)
Deux Spartiates, (...) partirent. Arrivés au palais d’un Perse nommé Hydarnes, lieutenant du roi pour toutes les villes d’Asie qui étaient sur les côtes de la mer, celui-ci les accueillit fort honorablement, leur fit grande chère et, de fil en aiguille, leur demanda pourquoi ils rejetaient si fort l’amitié du roi. « Spartiates, dit-il, voyez par mon exemple comment le Roi sait honorer ceux qui le méritent. Croyez que si vous étiez à son service et qu’il vous eût connus, vous seriez tous les deux gouverneurs de quelque ville grecque. » Les Lacédémoniens répondirent : « En ceci, Hydarnes, tu ne pourrais nous donner un bon conseil ; car si tu as essayé le bonheur que tu nous promets, tu ignores entièrement celui dont nous jouissons. Tu as éprouvé la faveur du roi, mais tu ne sais pas quel goût délicieux a la liberté. Or si tu en avais seulement goûté, tu nous conseillerais de la défendre, non seulement avec la lance et le bouclier, mais avec les dents et avec les ongles ». Seuls les Spartiates disaient vrai, mais chacun parlait ici selon l’éducation qu’il avait reçue. Car il était aussi impossible au Persan de regretter la liberté dont il n’avait jamais joui qu’aux Lacédémoniens, qui l’avaient savourée, d’endurer l’esclavage. (...)
Mais il me semble qu’on doit avoir pitié de ceux qui, en naissant, se trouvent déjà sous le joug, qu’on doit les excuser ou leur pardonner si, n’ayant pas même vu l’ombre de la liberté, et n’en ayant pas entendu parler, ils ne ressentent pas le malheur d’être esclaves. S’il est des pays, comme le dit Homère de celui des Cimériens, où le soleil se montre tout différent qu’à nous, où après les avoir éclairés pendant six mois consécutifs, il les laisse dans l’obscurité durant les six autres mois, faut-il s’étonner que ceux qui naissent pendant cette longue nuit, s’ils n’ont point ouï parler de la clarté ni jamais vu le jour, s’accoutument aux ténèbres où ils sont nés sans désirer la lumière ?
On ne regrette jamais ce qu’on n’a jamais eu. Le chagrin ne vient qu’après le plaisir et toujours, à la connaissance du malheur, se joint le souvenir de quelque joie passée. La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne.
Disons donc que, si toutes choses deviennent naturelles à l’homme lorsqu’il s’y habitue, seul reste dans sa nature celui qui ne désire que les choses simples et non altérées. Ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude. (...)
Ils disent qu’ils ont toujours été sujets, que leurs pères ont vécu ainsi. Ils pensent qu’ils sont tenus d’endurer le mal, s’en persuadent par des exemples et consolident eux-mêmes, par la durée, la possession de ceux qui les tyrannisent.
Mais en vérité les années ne donnent jamais le droit de mal faire. Elles accroissent l’injure. Il s’en trouve toujours certains, mieux nés que les autres, qui sentent le poids du joug et ne peuvent se retenir de le secouer, qui ne s’apprivoisent jamais à la sujétion et qui, comme Ulysse cherchait par terre et par mer à revoir la fumée de sa maison, n’ont garde d’oublier leurs droits naturels, leurs origines, leur état premier, et s’empressent de les revendiquer en toute occasion. Ceux-là, ayant l’entendement net et l’esprit clairvoyant, ne se contentent pas, comme les ignorants, de voir ce qui est à leurs pieds sans regarder ni derrière ni devant. Ils se remémorent les choses passées pour juger le présent et prévoir l’avenir. Ce sont eux qui, ayant d’eux-mêmes la tête-bien faite, l’ont encore affinée par l’étude et le savoir. Ceux-là, quand la liberté serait entièrement perdue et bannie de ce monde, l’imaginent et la sentent en leur esprit, et la savourent. Et la servitude les dégoûte, pour si bien qu’on l’accoutre.
Le grand Turc s’est bien apercu que les livres et la pensée donnent plus que toute autre chose aux hommes le sentiment de leur dignité et la haine de la tyrannie. Je comprends que, dans son pays, il n’a guère de savants, ni n’en demande. Le zèle et la passion de ceux qui sont restés, malgré les circonstances, les dévots de la liberté, restent communément sans effet, quel que soit leur nombre, parce qu’ils ne peuvent s’entendre. Les tyrans leur enlèvent toute liberté de faire, de parler et presque de penser, et ils demeurent isolés dans leurs rêves. (...)
Mais pour revenir à mon sujet, que j’avais presque perdu de vue, la première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c’est qu’ils naissent serfs et qu’ils sont élevés comme tels. De cette première raison découle cette autre : que, sous les tyrans, les gens deviennent aisément lâches et efféminés. (...) Il est certain qu’avec la liberté on perd aussitôt la vaillance. Les gens soumis n’ont ni ardeur ni pugnacité au combat. Ils y vont comme ligotés et tout engourdis, s’acquittant avec peine d’une obligation. Ils ne sentent pas bouillir dans leur cœur l’ardeur de la liberté (...) Chez les hommes libres au contraire, c’est à l’envi, à qui mieux mieux, chacun pour tous et chacun pour soi : ils savent qu’ils recueilleront une part égale au mal de la défaite ou au bien de la victoire. Mais les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité, ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute grande action. Les tyrans le savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir.
Cette ruse des tyrans d’abêtir leurs sujets n’a jamais été plus évidente que dans la conduite de Cyrus envers les Lydiens, après qu’il se fut emparé de leur capitale et qu’il eut pris pour captif Crésus, ce roi si riche. On lui apporta la nouvelle que les habitants de Sardes s’étaient révoltés. Il les eut bientôt réduits à l’obéissance. Mais ne voulant pas saccager une aussi belle ville ni être obligé d’y tenir une armée pour la maîtriser, il s’avisa d’un expédient admirable pour s’en assurer la possession. Il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et publia une ordonnance qui obligeait les citoyens à s’y rendre. Il se trouva si bien de cette garnison que, par la suite, il n’eut plus à tirer l’épée contre les Lydiens. Ces misérables s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux si bien que, de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils désignaient ce que nous appelons passe-temps, qu’ils nommaient Ludi, par corruption de Lydi.
Tous les tyrans n’ont pas déclaré aussi expressément vouloir efféminer leurs sujets ; mais de fait, ce que celui-là ordonna formellement, la plupart d’entre eux l’ont fait en cachette. Tel est le penchant naturel du peuple ignorant qui, d’ordinaire, est plus nombreux dans les villes : il est soupçonneux envers celui qui l’aime et confiant envers celui qui le trompe. Ne croyez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée, ni aucun poisson qui, pour la friandise du ver, morde plus tôt à l’hameçon que tous ces peuples qui se laissent promptement allécher à la servitude, pour la moindre douceur qu’on leur fait goûter. C’est chose merveilleuse qu’ils se laissent aller si promptement, pour peu qu’on les chatouille. Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. Ce moyen, cette pratique, ces allèchements étaient ceux qu’employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets sous le joug. Ainsi les peuples abrutis, trouvant beaux tous ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui les éblouissait, s’habituaient à servir aussi niaisement mais plus mal que les petits enfants n'apprennent à lire avec des images brillantes.
Les tyrans romains renchérirent encore sur ces moyens en faisant souvent festoyer les décuries, en gorgeant comme il le fallait cette canaille qui se laisse aller plus qu’à toute autre chose au plaisir de la bouche. Ainsi, le plus éveillé d’entre eux n’aurait pas quitté son écuelle de soupe pour recouvrer la liberté de la République de Platon. Les tyrans faisaient largesse du quart de blé, du septier de vin, du sesterce, et c’était pitié alors d’entendre crier : « Vive le roi ! » Ces lourdeaux ne s’avisaient pas qu’ils ne faisaient que recouvrer une part de leur bien, et que cette part même qu’ils en recouvraient, le tyran n’aurait pu la leur donner si, auparavant, il ne la leur avait enlevée. (...)
Je ne vois personne aujourd’hui qui, entendant parler de Néron, ne tremble au seul nom de ce vilain monstre, de cette sale peste du monde. Il faut pourtant dire qu’après la mort, aussi dégoûtante que sa vie, de ce bouteleu, de ce bourreau, de cette bête sauvage, ce fameux peuple romain en éprouva tant de déplaisir, se rappelant ses jeux et ses festins, qu’il fut sur le point d’en porter le deuil. C’est du moins ce qu’en écrit Tacite, excellent auteur, historien des plus fiables. Et l’on ne trouvera pas cela étrange si l’on considère ce que ce même peuple avait déjà fait à la mort de Jules César, qui avait donné congé aux lois et à la liberté romaine. On louait surtout, ce me semble, dans ce personnage, son « humanité » ; or, elle fut plus funeste à son pays que la plus grande cruauté du plus sauvage tyran qui ait jamais vécu, car à la vérité ce fut cette venimeuse douceur qui emmiella pour le peuple romain le breuvage de la servitude. Après sa mort ce peuple-là, qui avait encore à la bouche le goût de ses banquets et à l’esprit la mémoire de ses prodigalités, amoncela les bancs de la place publique pour lui en faire un grand bûcher d’honneur ; puis il lui éleva une colonne comme au Père du peuple (le chapiteau portait cette inscription) ; enfin il fit plus d’honneurs à ce mort qu’il n’aurait dû en faire à un vivant, et d’abord à ceux qui l’avaient tué. (...)
J’en arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie. (...) Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de fantassins, ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte vérité) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui soumettent tout le pays. Il en a toujours été ainsi : cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef qu’il en devient méchant envers la société, non seulement de sa propre méchanceté mais encore des leurs. Ces six en ont sous eux six cents, qu’ils corrompent autant qu’ils ont corrompu le tyran. Ces six cents en tiennent sous leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité. Ils leur font donner le gouvernement des provinces ou le maniement des deniers afin de les tenir par leur avidité ou par leur cruauté, afin qu’ils les exercent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal qu’ils ne puissent se maintenir que sous leur ombre, qu’ils ne puissent s’exempter des lois et des peines que grâce à leur protection. Grande est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille, mais cent mille et des millions tiennent au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à lui (...) En somme, par les gains et les faveurs qu’on reçoit des tyrans, on en arrive à ce point qu’ils se trouvent presque aussi nombreux, ceux auxquels la tyrannie profite, que ceux auxquels la liberté plairait.
Au dire des médecins, bien que rien ne paraisse changé dans notre corps, dès que quelque tumeur se manifeste en un seul endroit, toutes les humeurs se portent vers cette partie véreuse. De même, dès qu’un roi s’est déclaré tyran, tout le mauvais, toute la lie du royaume, je ne dis pas un tas de petits friponneaux et de faquins qui ne peuvent faire ni mal ni bien dans un pays, mais ceux qui sont possédés d’une ambition ardente et d’une avidité notable se groupent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au butin et pour être, sous le grand tyran, autant de petits tyranneaux. (...)
Quand je pense à ces gens qui flattent le tyran pour exploiter sa tyrannie et la servitude du peuple, je suis presque aussi souvent ébahi de leur méchanceté qu’apitoyé de leur sottise.
Car à vrai dire, s’approcher du tyran, est-ce autre chose que s’éloigner de sa liberté et, pour ainsi dire, embrasser et serrer à deux mains sa servitude ? Qu’ils mettent un moment à part leur ambition, qu’ils se dégagent un peu de leur avidité, et puis qu’ils se regardent ; qu’ils se considèrent eux-mêmes : ils verront clairement que ces villageois, ces paysans qu’ils foulent aux pieds et qu’ils traitent comme des forcats ou des esclaves, ils verront, dis-je, que ceux-là, si malmenés, sont plus heureux qu’eux et en quelque sorte plus libres. Le laboureur et l’artisan, pour asservis qu’ils soient, en sont quittes en obéissant ; mais le tyran voit ceux qui l’entourent coquinant et mendiant sa faveur. Il ne faut pas seulement qu’ils fassent ce qu’il ordonne, mais aussi qu’ils pensent ce qu’il veut et souvent même, pour le satisfaire, qu’ils préviennent ses propres désirs. Ce n’est pas le tout de lui obéir, il faut encore lui complaire ; il faut qu’ils se rompent, se tourmentent, se tuent à traiter ses affaires, et puisqu’ils ne se plaisent qu’à son plaisir, qu’ils sacrifient leur goût au sien, qu’ils forcent leur tempérament et dépouillent leur naturel. Il faut qu’ils soient attentifs à ses paroles, à sa voix, à ses regards, à ses gestes : que leurs yeux, leurs pieds, leurs mains soient continuellement occupés à épier ses volontés et à deviner ses pensées.
Est-ce là vivre heureux ? Est-ce même vivre ? Est-il rien au monde de plus insupportable que cet état, je ne dis pas pour tout homme de cœur, mais encore pour celui qui n’a que le simple bon sens, ou même figure d’homme ? Quelle condition est plus misérable que celle de vivre ainsi, n’ayant rien à soi et tenant d’un autre son aise, sa liberté, son corps et sa vie ?
Mais ils veulent servir pour amasser des biens : comme s’ils pouvaient rien gagner qui fût à eux, puisqu’ils ne peuvent même pas dire qu’ils sont à eux-mêmes. Et comme si quelqu’un pouvait avoir quelque chose à soi sous un tyran, ils veulent se rendre possesseurs de biens, oubliant que ce sont eux qui lui donnent la force de ravir tout à tous, et de ne rien laisser qu’on puisse dire être à (sa) personne. Ils voient pourtant que ce sont les biens qui rendent les hommes dépendants de sa cruauté ; qu’il n’y a aucun crime plus digne de mort, selon lui, que l’avantage d’autrui ; qu’il n’aime que les richesses et ne s’attaque qu’aux riches ; ceux-là viennent cependant se présenter à lui comme des moutons devant le boucher, pleins et bien repus comme pour lui faire envie. (...)
Les tyrans bêtes restent bêtes au point de ne jamais savoir faire le bien, mais je ne sais comment, à la fin, le peu qu’ils ont d’esprit se réveille en eux pour user de cruauté même envers leurs proches. On connaît assez le mot de celui-là qui, voyant découverte la gorge de sa femme, de celle qu’il aimait le plus, sans laquelle il semblait qu’il ne pût vivre, lui adressa ce joli compliment : « Ce beau cou sera coupé tout à l’heure, si je l’ordonne.» Voilà pourquoi la plupart des anciens tyrans ont presque tous été tués par leurs favoris : connaissant la nature de la tyrannie, ceux-ci n’étaient guère rassurés sur la volonté du tyran et se défiaient de sa puissance. (...)
Certainement le tyran n’aime jamais, et n’est jamais aimé. L’amitié est un nom sacré, une chose sainte. Elle n’existe qu’entre gens de bien. Elle naît d’une mutuelle estime et s’entretient moins par les bienfaits que par l’honnêteté. Ce qui rend un ami sûr de l’autre, c’est la connaissance de son intégrité. Il en a pour garants son bon naturel, sa fidélité, sa constance. Il ne peut y avoir d’amitié là où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l’injustice. Entre méchants, lorsqu’ils s’assemblent, c’est un complot et non une société. Ils ne s’aiment pas mais se craignent. Ils ne sont pas amis, mais complices.
Quand bien même cela ne serait pas, il serait difficile de trouver chez un tyran un amour sûr, parce qu’étant au-dessus de tous et n’ayant pas de pairs, il est déjà au-delà des bornes de l’amitié. Celle-ci fleurit dans l’égalité, dont la marche est toujours égale et ne peut jamais clocher. Voilà pourquoi il y a bien, comme on le dit, une espèce de bonne foi parmi les voleurs lors du partage du butin, parce qu’alors ils y sont tous pairs et compagnons. S’ils ne s’aiment pas, du moins se craignent-ils. Ils ne veulent pas amoindrir leur force en se désunissant. (...)
Quelle peine, quel martyre (...) ! Être occupé nuit et jour à plaire à un homme, et se méfier de lui plus que de tout autre au monde. Avoir toujours l’ oeil aux aguets, l’oreille aux écoutes, pour épier d’où viendra le coup, pour découvrir les embûches, pour tâter la mine de ses concurrents, pour deviner le traître. Sourire à chacun et se méfier de tous, n’avoir ni ennemi ouvert ni ami assuré, montrer toujours un visage riant quand le cœur est transi ; ne pas pouvoir être joyeux, ni oser être triste ! (...)
(E.d.l.B.)
discours de la servitude volontaire (audio intégral)
discours de le servitude volontaire (texte intégral)
cf. la liberté ta soeur
cf. dès lors : niet
cf. les autres suivaient sans y penser...
cf. le recul historique contre le cul du présent
cf. la dominance et autre usage
cf. de l'infantilisme volontaire
Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire. Chose vraiment étonnante - et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en ébahir -, de voir un million d’hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient pas redouter - puisqu’il est seul - ni aimer - puisqu’il est envers eux tous inhumain et cruel. (...) Il ne faut pas s’étonner (...) mais bien le déplorer. Ou plutôt, ne s’en étonner ni ne s’en plaindre, mais supporter le malheur avec patience, et se réserver pour un avenir meilleur. (...)
Or ce tyran seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni de l’abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à sa servitude. Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui donner. Pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent, ou plutôt qui se font malmener, puisqu’ils en seraient quittes en cessant de servir. C’est le peuple qui s’asservit et qui se coupe la gorge ; qui, pouvant choisir d’être soumis ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug ; qui consent à son mal, ou plutôt qui le recherche... S’il lui coûtait quelque chose pour recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais pas ; même si ce qu’il doit avoir le plus à cœur est de rentrer dans ses droits naturels et, pour ainsi dire, de bête redevenir homme. Mais je n’attends même pas de lui une si grande hardiesse ; j’admets qu’il aime mieux je ne sais quelle assurance de vivre misérablement qu’un espoir douteux de vivre comme il l’entend. (...) comme le feu d’une petite étincelle grandit et se renforce toujours, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et finit par s’éteindre de lui-même quand on cesse de l’alimenter, de même, plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit, plus on les sert. Ils se fortifient d’autant, deviennent de plus en plus frais et dispos pour tout anéantir et tout détruire. Mais si on ne leur fournit rien, si on ne leur obéit pas, sans les combattre, sans les frapper, ils restent nus et défaits et ne sont plus rien, de même que la branche, n’ayant plus de suc ni d’aliment à sa racine, devient sèche et morte.
(...) L’énergie d’y prétendre leur est ravie par leur propre lâcheté ; il ne leur reste que le désir naturel de le posséder. Ce désir, cette volonté commune aux sages et aux imprudents, aux courageux et aux couards, leur fait souhaiter toutes les choses dont la possession les rendrait heureux et contents. Il en est une seule que les hommes, je ne sais pourquoi, n’ont pas la force de désirer : c’est la liberté, bien si grand et si doux ! Dès qu’elle est perdue, tous les maux s’ensuivent, et sans elle tous les autres biens, corrompus par la servitude, perdent entièrement leur goût et leur saveur. La liberté, les hommes la dédaignent uniquement, semble-t-il, parce que s’ils la désiraient, ils l’auraient ; comme s’ils refusaient de faire cette précieuse acquisition parce qu’elle est trop aisée.
Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres ! Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ? Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? Comment oserait-il vous assaillir, s’il n’était d’intelligence avec vous ? (...)
Vous vous affaiblissez afin qu’il soit plus fort, et qu’il vous tienne plus rudement la bride plus courte. Et de tant d’indignités que les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient, vous pourriez vous délivrer si vous essayiez, même pas de vous délivrer, seulement de le vouloir.
Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre.
Les médecins conseillent justement de ne pas chercher à guérir les plaies incurables, et peut-être ai-je tort de vouloir ainsi exhorter un peuple qui semble avoir perdu depuis longtemps toute connaissance de son mal - ce qui montre assez que sa maladie est mortelle. Cherchons donc à comprendre, si c’est possible, comment cette opiniâtre volonté de servir s’est enracinée si profond qu’on croirait que l’amour même de la liberté n’est pas si naturel. (...)
La liberté est donc naturelle ; c’est pourquoi, à mon avis, nous ne sommes pas seulement nés avec elle, mais aussi avec la passion de la défendre.
Et s’il s’en trouve par hasard qui en doutent encore - abâtardis au point de ne pas reconnaître leurs dons ni leurs passions natives -, il faut que je leur fasse l’honneur qu’ils méritent et que je hisse, pour ainsi dire, les bêtes brutes en chaire, pour leur enseigner leur nature et leur condition. Les bêtes, Dieu me soit en aide, si les hommes veulent bien les entendre, leur crient : « Vive la liberté ! » Plusieurs d’entre elles meurent aussitôt prises. Tel le poisson qui perd la vie sitôt tiré de l’eau, elles se laissent mourir pour ne point survivre à leur liberté naturelle. Si les animaux avaient entre eux des prééminences, ils feraient de cette liberté leur noblesse. D’autres bêtes, des plus grandes aux plus petites, lorsqu’on les prend, résistent si fort des ongles, des cornes, du bec et du pied qu’elles démontrent assez quel prix elles accordent à ce qu’elles perdent. Une fois prises, elles nous donnent tant de signes flagrants de la connaissance de leur malheur qu’il est beau de les voir alors languir plutôt que vivre, et gémir sur leur bonheur perdu plutôt que de se plaire en servitude. Que veut dire d’autre l’éléphant lorsque, s’étant défendu jusqu’au bout, sans plus d’espoir, sur le point d’être pris, il enfonce ses mâchoires et casse ses dents contre les arbres, sinon que son grand désir de demeurer libre lui donne de l’esprit et l’avise de marchander avec les chasseurs : à voir s’il pourra s’acquitter par le prix de ses dents et si son ivoire, laissé pour rançon, rachètera sa liberté ?
Nous flattons le cheval dès sa naissance pour l’habituer à servir. Nos caresses ne l’empêchent pas de mordre son frein, de ruer sous l’éperon lorsqu’on veut le dompter. Il veut témoigner par là, ce me semble, qu’il ne sert pas de son gré, mais bien sous notre contrainte. Que dire encore ?
« Même les bœufs, sous le joug, geignent, et les oiseaux, en cage, se plaignent. » Je l’ai dit autrefois en vers... (...)
(...) Car pour que les hommes, tant qu’ils sont des hommes, se laissent assujettir, il faut de deux choses l’une : ou qu’ils y soient contraints, ou qu’ils soient trompés. (...) Ils perdent souvent leur liberté en étant trompés, mais sont moins souvent séduits par autrui qu’ils ne se trompent eux-mêmes. (...)
Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude.
Il est vrai qu’au commencement on sert contraint et vaincu par la force ; mais les successeurs servent sans regret et font volontiers ce que leurs devanciers avaient fait par contrainte. Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance. (...)
Mais l’habitude, qui exerce en toutes choses un si grand pouvoir sur nous, a surtout celui de nous apprendre à servir et, comme on le raconte de Mithridate, qui finit par s’habituer au poison, celui de nous apprendre à avaler le venin de la servitude sans le trouver amer. Nul doute que la nature nous dirige là où elle veut, bien ou mal lotis, mais il faut avouer qu’elle a moins de pouvoir sur nous que l’habitude. Si bon que soit le naturel, il se perd s’il n’est entretenu, et l’habitude nous forme toujours à sa manière, en dépit de la nature. Les semences de bien que la nature met en nous sont si menues, si frêles, qu’elles ne peuvent résister au moindre choc d’une habitude contraire. (...)
On raconte que Lycurgue, le législateur de Sparte, avait nourri deux chiens, tous deux frères, tous deux allaités au même lait. L’un était engraissé à la cuisine, l’autre habitué à courir les champs au son de la trompe et du cornet. Voulant montrer aux Lacédémoniens que les hommes sont tels que la culture les a faits, il exposa les deux chiens sur la place publique et mit entre eux une soupe et un lièvre. L’un courut au plat, l’autre au lièvre. Et pourtant, dit-il, ils sont frères !
Celui-là, avec ses lois et son art politique, éduqua et forma si bien les Lacédémoniens que chacun d’eux préférait souffrir mille morts plutôt que de se soumettre à un autre maître que la loi et la raison. (...)
Deux Spartiates, (...) partirent. Arrivés au palais d’un Perse nommé Hydarnes, lieutenant du roi pour toutes les villes d’Asie qui étaient sur les côtes de la mer, celui-ci les accueillit fort honorablement, leur fit grande chère et, de fil en aiguille, leur demanda pourquoi ils rejetaient si fort l’amitié du roi. « Spartiates, dit-il, voyez par mon exemple comment le Roi sait honorer ceux qui le méritent. Croyez que si vous étiez à son service et qu’il vous eût connus, vous seriez tous les deux gouverneurs de quelque ville grecque. » Les Lacédémoniens répondirent : « En ceci, Hydarnes, tu ne pourrais nous donner un bon conseil ; car si tu as essayé le bonheur que tu nous promets, tu ignores entièrement celui dont nous jouissons. Tu as éprouvé la faveur du roi, mais tu ne sais pas quel goût délicieux a la liberté. Or si tu en avais seulement goûté, tu nous conseillerais de la défendre, non seulement avec la lance et le bouclier, mais avec les dents et avec les ongles ». Seuls les Spartiates disaient vrai, mais chacun parlait ici selon l’éducation qu’il avait reçue. Car il était aussi impossible au Persan de regretter la liberté dont il n’avait jamais joui qu’aux Lacédémoniens, qui l’avaient savourée, d’endurer l’esclavage. (...)
Mais il me semble qu’on doit avoir pitié de ceux qui, en naissant, se trouvent déjà sous le joug, qu’on doit les excuser ou leur pardonner si, n’ayant pas même vu l’ombre de la liberté, et n’en ayant pas entendu parler, ils ne ressentent pas le malheur d’être esclaves. S’il est des pays, comme le dit Homère de celui des Cimériens, où le soleil se montre tout différent qu’à nous, où après les avoir éclairés pendant six mois consécutifs, il les laisse dans l’obscurité durant les six autres mois, faut-il s’étonner que ceux qui naissent pendant cette longue nuit, s’ils n’ont point ouï parler de la clarté ni jamais vu le jour, s’accoutument aux ténèbres où ils sont nés sans désirer la lumière ?
On ne regrette jamais ce qu’on n’a jamais eu. Le chagrin ne vient qu’après le plaisir et toujours, à la connaissance du malheur, se joint le souvenir de quelque joie passée. La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne.
Disons donc que, si toutes choses deviennent naturelles à l’homme lorsqu’il s’y habitue, seul reste dans sa nature celui qui ne désire que les choses simples et non altérées. Ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude. (...)
Ils disent qu’ils ont toujours été sujets, que leurs pères ont vécu ainsi. Ils pensent qu’ils sont tenus d’endurer le mal, s’en persuadent par des exemples et consolident eux-mêmes, par la durée, la possession de ceux qui les tyrannisent.
Mais en vérité les années ne donnent jamais le droit de mal faire. Elles accroissent l’injure. Il s’en trouve toujours certains, mieux nés que les autres, qui sentent le poids du joug et ne peuvent se retenir de le secouer, qui ne s’apprivoisent jamais à la sujétion et qui, comme Ulysse cherchait par terre et par mer à revoir la fumée de sa maison, n’ont garde d’oublier leurs droits naturels, leurs origines, leur état premier, et s’empressent de les revendiquer en toute occasion. Ceux-là, ayant l’entendement net et l’esprit clairvoyant, ne se contentent pas, comme les ignorants, de voir ce qui est à leurs pieds sans regarder ni derrière ni devant. Ils se remémorent les choses passées pour juger le présent et prévoir l’avenir. Ce sont eux qui, ayant d’eux-mêmes la tête-bien faite, l’ont encore affinée par l’étude et le savoir. Ceux-là, quand la liberté serait entièrement perdue et bannie de ce monde, l’imaginent et la sentent en leur esprit, et la savourent. Et la servitude les dégoûte, pour si bien qu’on l’accoutre.
Le grand Turc s’est bien apercu que les livres et la pensée donnent plus que toute autre chose aux hommes le sentiment de leur dignité et la haine de la tyrannie. Je comprends que, dans son pays, il n’a guère de savants, ni n’en demande. Le zèle et la passion de ceux qui sont restés, malgré les circonstances, les dévots de la liberté, restent communément sans effet, quel que soit leur nombre, parce qu’ils ne peuvent s’entendre. Les tyrans leur enlèvent toute liberté de faire, de parler et presque de penser, et ils demeurent isolés dans leurs rêves. (...)
Mais pour revenir à mon sujet, que j’avais presque perdu de vue, la première raison pour laquelle les hommes servent volontairement, c’est qu’ils naissent serfs et qu’ils sont élevés comme tels. De cette première raison découle cette autre : que, sous les tyrans, les gens deviennent aisément lâches et efféminés. (...) Il est certain qu’avec la liberté on perd aussitôt la vaillance. Les gens soumis n’ont ni ardeur ni pugnacité au combat. Ils y vont comme ligotés et tout engourdis, s’acquittant avec peine d’une obligation. Ils ne sentent pas bouillir dans leur cœur l’ardeur de la liberté (...) Chez les hommes libres au contraire, c’est à l’envi, à qui mieux mieux, chacun pour tous et chacun pour soi : ils savent qu’ils recueilleront une part égale au mal de la défaite ou au bien de la victoire. Mais les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité, ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute grande action. Les tyrans le savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir.
Cette ruse des tyrans d’abêtir leurs sujets n’a jamais été plus évidente que dans la conduite de Cyrus envers les Lydiens, après qu’il se fut emparé de leur capitale et qu’il eut pris pour captif Crésus, ce roi si riche. On lui apporta la nouvelle que les habitants de Sardes s’étaient révoltés. Il les eut bientôt réduits à l’obéissance. Mais ne voulant pas saccager une aussi belle ville ni être obligé d’y tenir une armée pour la maîtriser, il s’avisa d’un expédient admirable pour s’en assurer la possession. Il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et publia une ordonnance qui obligeait les citoyens à s’y rendre. Il se trouva si bien de cette garnison que, par la suite, il n’eut plus à tirer l’épée contre les Lydiens. Ces misérables s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux si bien que, de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils désignaient ce que nous appelons passe-temps, qu’ils nommaient Ludi, par corruption de Lydi.
Tous les tyrans n’ont pas déclaré aussi expressément vouloir efféminer leurs sujets ; mais de fait, ce que celui-là ordonna formellement, la plupart d’entre eux l’ont fait en cachette. Tel est le penchant naturel du peuple ignorant qui, d’ordinaire, est plus nombreux dans les villes : il est soupçonneux envers celui qui l’aime et confiant envers celui qui le trompe. Ne croyez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée, ni aucun poisson qui, pour la friandise du ver, morde plus tôt à l’hameçon que tous ces peuples qui se laissent promptement allécher à la servitude, pour la moindre douceur qu’on leur fait goûter. C’est chose merveilleuse qu’ils se laissent aller si promptement, pour peu qu’on les chatouille. Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. Ce moyen, cette pratique, ces allèchements étaient ceux qu’employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets sous le joug. Ainsi les peuples abrutis, trouvant beaux tous ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui les éblouissait, s’habituaient à servir aussi niaisement mais plus mal que les petits enfants n'apprennent à lire avec des images brillantes.
Les tyrans romains renchérirent encore sur ces moyens en faisant souvent festoyer les décuries, en gorgeant comme il le fallait cette canaille qui se laisse aller plus qu’à toute autre chose au plaisir de la bouche. Ainsi, le plus éveillé d’entre eux n’aurait pas quitté son écuelle de soupe pour recouvrer la liberté de la République de Platon. Les tyrans faisaient largesse du quart de blé, du septier de vin, du sesterce, et c’était pitié alors d’entendre crier : « Vive le roi ! » Ces lourdeaux ne s’avisaient pas qu’ils ne faisaient que recouvrer une part de leur bien, et que cette part même qu’ils en recouvraient, le tyran n’aurait pu la leur donner si, auparavant, il ne la leur avait enlevée. (...)
Je ne vois personne aujourd’hui qui, entendant parler de Néron, ne tremble au seul nom de ce vilain monstre, de cette sale peste du monde. Il faut pourtant dire qu’après la mort, aussi dégoûtante que sa vie, de ce bouteleu, de ce bourreau, de cette bête sauvage, ce fameux peuple romain en éprouva tant de déplaisir, se rappelant ses jeux et ses festins, qu’il fut sur le point d’en porter le deuil. C’est du moins ce qu’en écrit Tacite, excellent auteur, historien des plus fiables. Et l’on ne trouvera pas cela étrange si l’on considère ce que ce même peuple avait déjà fait à la mort de Jules César, qui avait donné congé aux lois et à la liberté romaine. On louait surtout, ce me semble, dans ce personnage, son « humanité » ; or, elle fut plus funeste à son pays que la plus grande cruauté du plus sauvage tyran qui ait jamais vécu, car à la vérité ce fut cette venimeuse douceur qui emmiella pour le peuple romain le breuvage de la servitude. Après sa mort ce peuple-là, qui avait encore à la bouche le goût de ses banquets et à l’esprit la mémoire de ses prodigalités, amoncela les bancs de la place publique pour lui en faire un grand bûcher d’honneur ; puis il lui éleva une colonne comme au Père du peuple (le chapiteau portait cette inscription) ; enfin il fit plus d’honneurs à ce mort qu’il n’aurait dû en faire à un vivant, et d’abord à ceux qui l’avaient tué. (...)
J’en arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie. (...) Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de fantassins, ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte vérité) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui soumettent tout le pays. Il en a toujours été ainsi : cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef qu’il en devient méchant envers la société, non seulement de sa propre méchanceté mais encore des leurs. Ces six en ont sous eux six cents, qu’ils corrompent autant qu’ils ont corrompu le tyran. Ces six cents en tiennent sous leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité. Ils leur font donner le gouvernement des provinces ou le maniement des deniers afin de les tenir par leur avidité ou par leur cruauté, afin qu’ils les exercent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal qu’ils ne puissent se maintenir que sous leur ombre, qu’ils ne puissent s’exempter des lois et des peines que grâce à leur protection. Grande est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille, mais cent mille et des millions tiennent au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à lui (...) En somme, par les gains et les faveurs qu’on reçoit des tyrans, on en arrive à ce point qu’ils se trouvent presque aussi nombreux, ceux auxquels la tyrannie profite, que ceux auxquels la liberté plairait.
Au dire des médecins, bien que rien ne paraisse changé dans notre corps, dès que quelque tumeur se manifeste en un seul endroit, toutes les humeurs se portent vers cette partie véreuse. De même, dès qu’un roi s’est déclaré tyran, tout le mauvais, toute la lie du royaume, je ne dis pas un tas de petits friponneaux et de faquins qui ne peuvent faire ni mal ni bien dans un pays, mais ceux qui sont possédés d’une ambition ardente et d’une avidité notable se groupent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au butin et pour être, sous le grand tyran, autant de petits tyranneaux. (...)
Quand je pense à ces gens qui flattent le tyran pour exploiter sa tyrannie et la servitude du peuple, je suis presque aussi souvent ébahi de leur méchanceté qu’apitoyé de leur sottise.
Car à vrai dire, s’approcher du tyran, est-ce autre chose que s’éloigner de sa liberté et, pour ainsi dire, embrasser et serrer à deux mains sa servitude ? Qu’ils mettent un moment à part leur ambition, qu’ils se dégagent un peu de leur avidité, et puis qu’ils se regardent ; qu’ils se considèrent eux-mêmes : ils verront clairement que ces villageois, ces paysans qu’ils foulent aux pieds et qu’ils traitent comme des forcats ou des esclaves, ils verront, dis-je, que ceux-là, si malmenés, sont plus heureux qu’eux et en quelque sorte plus libres. Le laboureur et l’artisan, pour asservis qu’ils soient, en sont quittes en obéissant ; mais le tyran voit ceux qui l’entourent coquinant et mendiant sa faveur. Il ne faut pas seulement qu’ils fassent ce qu’il ordonne, mais aussi qu’ils pensent ce qu’il veut et souvent même, pour le satisfaire, qu’ils préviennent ses propres désirs. Ce n’est pas le tout de lui obéir, il faut encore lui complaire ; il faut qu’ils se rompent, se tourmentent, se tuent à traiter ses affaires, et puisqu’ils ne se plaisent qu’à son plaisir, qu’ils sacrifient leur goût au sien, qu’ils forcent leur tempérament et dépouillent leur naturel. Il faut qu’ils soient attentifs à ses paroles, à sa voix, à ses regards, à ses gestes : que leurs yeux, leurs pieds, leurs mains soient continuellement occupés à épier ses volontés et à deviner ses pensées.
Est-ce là vivre heureux ? Est-ce même vivre ? Est-il rien au monde de plus insupportable que cet état, je ne dis pas pour tout homme de cœur, mais encore pour celui qui n’a que le simple bon sens, ou même figure d’homme ? Quelle condition est plus misérable que celle de vivre ainsi, n’ayant rien à soi et tenant d’un autre son aise, sa liberté, son corps et sa vie ?
Mais ils veulent servir pour amasser des biens : comme s’ils pouvaient rien gagner qui fût à eux, puisqu’ils ne peuvent même pas dire qu’ils sont à eux-mêmes. Et comme si quelqu’un pouvait avoir quelque chose à soi sous un tyran, ils veulent se rendre possesseurs de biens, oubliant que ce sont eux qui lui donnent la force de ravir tout à tous, et de ne rien laisser qu’on puisse dire être à (sa) personne. Ils voient pourtant que ce sont les biens qui rendent les hommes dépendants de sa cruauté ; qu’il n’y a aucun crime plus digne de mort, selon lui, que l’avantage d’autrui ; qu’il n’aime que les richesses et ne s’attaque qu’aux riches ; ceux-là viennent cependant se présenter à lui comme des moutons devant le boucher, pleins et bien repus comme pour lui faire envie. (...)
Les tyrans bêtes restent bêtes au point de ne jamais savoir faire le bien, mais je ne sais comment, à la fin, le peu qu’ils ont d’esprit se réveille en eux pour user de cruauté même envers leurs proches. On connaît assez le mot de celui-là qui, voyant découverte la gorge de sa femme, de celle qu’il aimait le plus, sans laquelle il semblait qu’il ne pût vivre, lui adressa ce joli compliment : « Ce beau cou sera coupé tout à l’heure, si je l’ordonne.» Voilà pourquoi la plupart des anciens tyrans ont presque tous été tués par leurs favoris : connaissant la nature de la tyrannie, ceux-ci n’étaient guère rassurés sur la volonté du tyran et se défiaient de sa puissance. (...)
Certainement le tyran n’aime jamais, et n’est jamais aimé. L’amitié est un nom sacré, une chose sainte. Elle n’existe qu’entre gens de bien. Elle naît d’une mutuelle estime et s’entretient moins par les bienfaits que par l’honnêteté. Ce qui rend un ami sûr de l’autre, c’est la connaissance de son intégrité. Il en a pour garants son bon naturel, sa fidélité, sa constance. Il ne peut y avoir d’amitié là où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l’injustice. Entre méchants, lorsqu’ils s’assemblent, c’est un complot et non une société. Ils ne s’aiment pas mais se craignent. Ils ne sont pas amis, mais complices.
Quand bien même cela ne serait pas, il serait difficile de trouver chez un tyran un amour sûr, parce qu’étant au-dessus de tous et n’ayant pas de pairs, il est déjà au-delà des bornes de l’amitié. Celle-ci fleurit dans l’égalité, dont la marche est toujours égale et ne peut jamais clocher. Voilà pourquoi il y a bien, comme on le dit, une espèce de bonne foi parmi les voleurs lors du partage du butin, parce qu’alors ils y sont tous pairs et compagnons. S’ils ne s’aiment pas, du moins se craignent-ils. Ils ne veulent pas amoindrir leur force en se désunissant. (...)
Quelle peine, quel martyre (...) ! Être occupé nuit et jour à plaire à un homme, et se méfier de lui plus que de tout autre au monde. Avoir toujours l’ oeil aux aguets, l’oreille aux écoutes, pour épier d’où viendra le coup, pour découvrir les embûches, pour tâter la mine de ses concurrents, pour deviner le traître. Sourire à chacun et se méfier de tous, n’avoir ni ennemi ouvert ni ami assuré, montrer toujours un visage riant quand le cœur est transi ; ne pas pouvoir être joyeux, ni oser être triste ! (...)
(E.d.l.B.)
discours de la servitude volontaire (audio intégral)
discours de le servitude volontaire (texte intégral)
cf. la liberté ta soeur
cf. dès lors : niet
cf. les autres suivaient sans y penser...
cf. le recul historique contre le cul du présent
cf. la dominance et autre usage
cf. de l'infantilisme volontaire
2010-02-11
par micromarxisme
Stop, arrêtons de nous vendre / Détruisons le pouvoir sans le prendre.
(Josef & Gorki Plubakter, sur postradio)
(L.S.)(O.K.) :: 6'10''::
S'il y a chez Marx des choses vraies, on peut les utiliser comme instruments sans avoir à les citer, les reconnaîtra qui veut bien ! Ou qui en est capable...
(M.F.)
> devenir-deleuzien
> dis court de la servitude volontaire
(Josef & Gorki Plubakter, sur postradio)
(L.S.)(O.K.) :: 6'10''::
S'il y a chez Marx des choses vraies, on peut les utiliser comme instruments sans avoir à les citer, les reconnaîtra qui veut bien ! Ou qui en est capable...
(M.F.)
> devenir-deleuzien
> dis court de la servitude volontaire
2010-02-10
l'anti-fascistique
Pour moi, le minimal en politique, ce qui est absolument intraitable, c'est le problème du fascisme. (...) Le fascisme inclut beaucoup de choses ; pour fixer les idées, je précise qu'est fasciste à mes yeux tout régime [au sens large] qui, non seulement empêche de dire, mais surtout oblige à dire. Ensuite parce que ça, c'est la tentation constante du pouvoir, son naturel, celui qui revient au galop après qu'on l'a chassé.
. [Refus du pouvoir ?] Disons une sensibilité extrême à l'égard de son ubiquité — il est partout — et de son endurance — il est perpétuel. (...) Le pouvoir, c'est pluriel. Aussi ai-je le sentiment que ma guerre à moi, ce n'est pas le pouvoir, ce sont les pouvoirs, où qu'ils soient.
(R.B. — GV289&286)
D’où les trois adversaires auxquels L’anti-Oedipe se trouve confronté. Trois adversaires qui n’ont pas la même force, qui représentent des degrés divers de menace, et que le livre combat par des moyens différents.
1. Les ascètes politiques, les militants moroses, les terroristes de la théorie, ceux qui voudraient préserver l’ordre pur de la politique et du discours politique. Les bureaucrates de la révolution et les fonctionnaires de la Vérité. 2. Les pitoyables techniciens du désir - les psychanalystes et les sémiologues qui enregistrent chaque signe et chaque symptôme, et qui voudraient réduire l’organisation multiple du désir à la loi binaire de la structure et du manque. 3. Enfin, l’ennemi majeur, l’adversaire stratégique (alors que l’opposition de L’anti-Oedipe à ses autres ennemis constitue plutôt un engagement tactique) : le fascisme. Et non seulement le fascisme historique de Hitler et de Mussolini — qui a su si bien mobiliser et utiliser le désir des masses — mais aussi le fascisme qui est en nous tous, qui hante nos esprits et nos conduites quotidiennes, le fascisme qui nous fait aimer le pouvoir, désirer cette chose même qui nous domine et nous exploite.
Je dirais que L’anti-Oedipe (...) est un livre d’éthique (...) ((...) être anti-Oedipe est devenu un style de vie, un mode de pensée et de vie.) (...) Comment débarrasser notre discours et nos actes, nos cœurs et nos plaisirs, du fascisme ? Comment débusquer le fascisme qui s’est incrusté dans notre comportement ? (...) Deleuze et Guattari (...) guettent les traces les plus infimes du fascisme dans le corps.
(...) on pourrait dire que L’anti-Oedipe est une introduction à la vie non fasciste.
Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient déjà installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de la vie quotidienne :
* Libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante. * Faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale. * Affranchissez-vous des vieilles catégories du Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune) que la pensée occidentale a si longtemps tenu sacré en tant que forme de pouvoir et mode d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniformité, les flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire mais nomade. * N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire. * N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de Vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique. * N’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse les « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis. L’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est « désindividualiser » par la multiplication et le déplacement, l’agencement de combinaisons différentes. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation ». * Ne tombez pas amoureux du pouvoir.
On pourrait même dire que Deleuze et Guattari aiment si peu le pouvoir qu’ils ont cherché à neutraliser les effets de pouvoir liés à leur propre discours. D’où les jeux et les pièges que l’on trouve un peu partout dans le livre, et qui font de sa traduction un véritable tour de force. Mais ce ne sont pas les pièges familiers de la rhétorique, ceux qui cherchent à séduire le lecteur sans qu’il soit conscient de la manipulation, et finissent par le gagner à la cause des auteurs contre sa volonté. Les pièges de L’Anti-Oedipe sont ceux de l’humour : tant d’invitations à se laisser expulser, à prendre congé du texte en claquant la porte. Le livre donne souvent à penser qu’il n’est qu’humour et jeu là où pourtant quelque chose d’essentiel se passe, quelque chose qui est du plus grand sérieux : la traque de toutes les formes de fascisme, depuis celles, colossales, qui nous entourent et nous écrasent, jusqu’aux formes menues qui font l’amère tyrannie de nos vies quotidiennes.
(M.F.)
Nous ferons la suite parce que nous aimons travailler ensemble. Mais ce ne sera pas du tout une suite. Le dehors aidant, ce sera quelque chose de tellement différent dans le langage et la pensée que les gens qui nous « attendent » seront forcés de se dire : ils sont devenus complètement fous, ou bien c'est des salauds, ou bien ils ont été incapables de continuer. Décevoir est un plaisir. Non pas du tout qu'on veuille faire semblant d'être fous, mais on le deviendra à notre manière et à notre heure, il ne faut pas nous bousculer. Nous savons bien que l'anti-Oedipe premier tome est encore plein de compromissions, trop plein de choses encore savantes et qui ressemblent à des concepts. Eh bien on changera, c'est déjà fait, tout va bien pour nous. Certains pensent qu'on va continuer sur la même lancée, il y en avait même pour croire qu'on allait former un cinquième groupe psychanalytique. Misère. Nous rêvons à d'autres choses, plus clandestines et plus gaies. Des compromis, on n'en fera plus du tout, parce qu'on a moins besoin d'en faire. Et l'on se trouvera toujours les alliés dont on aura envie ou qui auront envie de nous.
(...) Et si quelqu'un utilise l'anti-Oedipe, on s'en fout, puisqu'on est déjà ailleurs.
(G.D.)
Voyez la Tique, admirez cette bête, elle se définit par trois affects, c'est tout ce dont elle est capable en fonction des rapports dont elle est composée, un monde tripolaire et c'est tout! La lumière l'affecte, et elle se hisse jusqu'à la pointe d'une branche. L'odeur d'un mammifère l'affecte, et elle se laisse tomber sur lui. Les poils la gênent, et elle cherche une place dépourvue de poils pour s'enfoncer sous la peau et boire le sang chaud. Aveugle et sourde, la tique n'a que trois affects dans la forêt immense, et le reste du temps peut dormir des années en attendant la rencontre. Quelle puissance pourtant! (..) Commencer par des animaux simples, qui n'ont qu'un petit nombre d'affects, et qui ne sont pas dans notre monde, ni dans un autre, mais avec un monde associé qu'ils ont su tailler, découper, recoudre : (...) voilà des bêtes philosophiques et pas l'oiseau de Minerve. (...) Rien que quelques signes comme des étoiles dans une nuit noire immense. Devenir-araignée, devenir-pou, devenir-tique, une vie inconnue, forte, obscure, obstinée.
(G.D.-C.P.)
cf. gauchehcuag droitetiord = gauchetiord ?
cf. dés—ordre
cf. écran total
. [Refus du pouvoir ?] Disons une sensibilité extrême à l'égard de son ubiquité — il est partout — et de son endurance — il est perpétuel. (...) Le pouvoir, c'est pluriel. Aussi ai-je le sentiment que ma guerre à moi, ce n'est pas le pouvoir, ce sont les pouvoirs, où qu'ils soient.
(R.B. — GV289&286)
D’où les trois adversaires auxquels L’anti-Oedipe se trouve confronté. Trois adversaires qui n’ont pas la même force, qui représentent des degrés divers de menace, et que le livre combat par des moyens différents.
1. Les ascètes politiques, les militants moroses, les terroristes de la théorie, ceux qui voudraient préserver l’ordre pur de la politique et du discours politique. Les bureaucrates de la révolution et les fonctionnaires de la Vérité. 2. Les pitoyables techniciens du désir - les psychanalystes et les sémiologues qui enregistrent chaque signe et chaque symptôme, et qui voudraient réduire l’organisation multiple du désir à la loi binaire de la structure et du manque. 3. Enfin, l’ennemi majeur, l’adversaire stratégique (alors que l’opposition de L’anti-Oedipe à ses autres ennemis constitue plutôt un engagement tactique) : le fascisme. Et non seulement le fascisme historique de Hitler et de Mussolini — qui a su si bien mobiliser et utiliser le désir des masses — mais aussi le fascisme qui est en nous tous, qui hante nos esprits et nos conduites quotidiennes, le fascisme qui nous fait aimer le pouvoir, désirer cette chose même qui nous domine et nous exploite.
Je dirais que L’anti-Oedipe (...) est un livre d’éthique (...) ((...) être anti-Oedipe est devenu un style de vie, un mode de pensée et de vie.) (...) Comment débarrasser notre discours et nos actes, nos cœurs et nos plaisirs, du fascisme ? Comment débusquer le fascisme qui s’est incrusté dans notre comportement ? (...) Deleuze et Guattari (...) guettent les traces les plus infimes du fascisme dans le corps.
(...) on pourrait dire que L’anti-Oedipe est une introduction à la vie non fasciste.
Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient déjà installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de la vie quotidienne :
* Libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante. * Faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale. * Affranchissez-vous des vieilles catégories du Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune) que la pensée occidentale a si longtemps tenu sacré en tant que forme de pouvoir et mode d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniformité, les flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire mais nomade. * N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire. * N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de Vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique. * N’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse les « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis. L’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est « désindividualiser » par la multiplication et le déplacement, l’agencement de combinaisons différentes. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation ». * Ne tombez pas amoureux du pouvoir.
On pourrait même dire que Deleuze et Guattari aiment si peu le pouvoir qu’ils ont cherché à neutraliser les effets de pouvoir liés à leur propre discours. D’où les jeux et les pièges que l’on trouve un peu partout dans le livre, et qui font de sa traduction un véritable tour de force. Mais ce ne sont pas les pièges familiers de la rhétorique, ceux qui cherchent à séduire le lecteur sans qu’il soit conscient de la manipulation, et finissent par le gagner à la cause des auteurs contre sa volonté. Les pièges de L’Anti-Oedipe sont ceux de l’humour : tant d’invitations à se laisser expulser, à prendre congé du texte en claquant la porte. Le livre donne souvent à penser qu’il n’est qu’humour et jeu là où pourtant quelque chose d’essentiel se passe, quelque chose qui est du plus grand sérieux : la traque de toutes les formes de fascisme, depuis celles, colossales, qui nous entourent et nous écrasent, jusqu’aux formes menues qui font l’amère tyrannie de nos vies quotidiennes.
(M.F.)
Nous ferons la suite parce que nous aimons travailler ensemble. Mais ce ne sera pas du tout une suite. Le dehors aidant, ce sera quelque chose de tellement différent dans le langage et la pensée que les gens qui nous « attendent » seront forcés de se dire : ils sont devenus complètement fous, ou bien c'est des salauds, ou bien ils ont été incapables de continuer. Décevoir est un plaisir. Non pas du tout qu'on veuille faire semblant d'être fous, mais on le deviendra à notre manière et à notre heure, il ne faut pas nous bousculer. Nous savons bien que l'anti-Oedipe premier tome est encore plein de compromissions, trop plein de choses encore savantes et qui ressemblent à des concepts. Eh bien on changera, c'est déjà fait, tout va bien pour nous. Certains pensent qu'on va continuer sur la même lancée, il y en avait même pour croire qu'on allait former un cinquième groupe psychanalytique. Misère. Nous rêvons à d'autres choses, plus clandestines et plus gaies. Des compromis, on n'en fera plus du tout, parce qu'on a moins besoin d'en faire. Et l'on se trouvera toujours les alliés dont on aura envie ou qui auront envie de nous.
(...) Et si quelqu'un utilise l'anti-Oedipe, on s'en fout, puisqu'on est déjà ailleurs.
(G.D.)
Voyez la Tique, admirez cette bête, elle se définit par trois affects, c'est tout ce dont elle est capable en fonction des rapports dont elle est composée, un monde tripolaire et c'est tout! La lumière l'affecte, et elle se hisse jusqu'à la pointe d'une branche. L'odeur d'un mammifère l'affecte, et elle se laisse tomber sur lui. Les poils la gênent, et elle cherche une place dépourvue de poils pour s'enfoncer sous la peau et boire le sang chaud. Aveugle et sourde, la tique n'a que trois affects dans la forêt immense, et le reste du temps peut dormir des années en attendant la rencontre. Quelle puissance pourtant! (..) Commencer par des animaux simples, qui n'ont qu'un petit nombre d'affects, et qui ne sont pas dans notre monde, ni dans un autre, mais avec un monde associé qu'ils ont su tailler, découper, recoudre : (...) voilà des bêtes philosophiques et pas l'oiseau de Minerve. (...) Rien que quelques signes comme des étoiles dans une nuit noire immense. Devenir-araignée, devenir-pou, devenir-tique, une vie inconnue, forte, obscure, obstinée.
(G.D.-C.P.)
cf. gauchehcuag droitetiord = gauchetiord ?
cf. dés—ordre
cf. écran total
2010-02-09
ottoprésentation
J - Avant ton [éventuel] livre actuellement en chantier, as-tu déjà publié quelque chose ?
— Tu veux dire : à l'ancienne ? Symboles noirs sur papier relié ? Non. Tout sur internet. Quelques exemples de films, les premiers seulement. Et mon blog, alors ? Les gens ne considèrent pas, n'honorent pas encore assez ce support. C'est vrai qu'on y trouve le tout-va. Et plutôt que de faire le tri... Bref. On y viendra, j'espère. Pour ma part, j'écris plein de choses (en grande partie audiovisuellement) dont, malgré mon impatience et mon envie de partage, je me réserve la publication. C'est con, mais peut-être pas tant que ça. J'attends le bon moment, le kaïros... au risque de le rater, par définition. Enfin, plus modestement, et orgueilleusement, je veux pas mélanger ce que je fais à tout ce flot culturel abruti. Donc j'attends de trouver une voie de publication un peu plus noble, ou qu'elle s'invente, tout simplement — et ça viendra. J'attends, et j'y concours un peu, à mon humble niveau. Mais pour l'instant je travaille surtout dans mon coin, en secret, ou en publication très confidentielle, mais (...) depuis des années. Deleuze : « Je sens venir (...) l’âge proche d’une clandestinité moitié volontaire et moitié contrainte, qui sera le plus jeune désir, y compris politique. »
G — et alors, c'est quoi ce blog ?
— [Eh bien,] c'est un blog que je tiens depuis trois ans. Et d'arrache-pied depuis un an et demi. C'est un travail colossal, et même trop pour les lecteurs — surtout retardataires. (...) En tout cas, c'est un blog qui formule ma pensée, par touches, fragments, audiovisuels ou textuels. Les premiers me demandant 100 fois plus de travail que les seconds. Mais pour quelle révolution d'expression !... Encore tout à fait méconnue, d'avant-garde. Comme moi. Sauf que... un jour... ou l'autre... comme toujours, quoi !...
(...)
Et si tu t'y intéresses complètement, il y a 3 années d'autopublication à écumer !... (Ha !...) où l'expression de ma pensée s'y déploie indéfiniment, et avec quelque retard, depuis toujours, mais s'aggravant depuis ce projet de livre éventuel (...). (...) Car j'y ai encore une tonne de choses à formuler. Dont une bien chère part est d'ailleurs concrètement en chantier, parfois depuis des mois, un an, sinon plus ! Et que j'aimerais tellement « terminer ».
P — (...) Ces derniers temps, je convainc de plus en plus de gens de se mettre à la contre-histoire philo de Onfray et quand ils ont mordu je les oriente vers d'autres sources, Deleuze, Otto karl, Bergson, etc.
C'est assez rigolo de voir les retours du genre: j'ai écouté une morale anarchique [P. Kropotkine]... ca devrait être enseigné... comment ne pas être d'accord, en tout cas c'est mon point de vue!!
ps: ne connais pas otto karl mais me rencarde
— Tout à ton honneur. Et au mien ! On peut se serrer la main. Ceci étant, je crois pas qu'ils iront très loin, hélas, car il faudrait être tellement passionné*... Aussi passionné que je le suis, peut-être. De tout ça. (...) Et malheureusement (pour nous tous!) je crois bien observer qu'une telle passion est... d'une telle rareté, dans les rues courantes. Je demanderais même pas à ce qu'ils m' « intel-lisent », si déjà ils com-prenaient, c'est-à-dire vivaient! en onfrayiens ou deleuziens, et si possible en synthèse des deux, comme j'y tends... et y travaille.
(O.k. - dialogues avec jactari, gilles, phdam's)
* cf. oeuvrécriture
cf. nordexpress.blog
cf. les philosoph(i)es clandesti-né(e)s
cf. sur/de mes postréalisations
cf. con sidération
— Tu veux dire : à l'ancienne ? Symboles noirs sur papier relié ? Non. Tout sur internet. Quelques exemples de films, les premiers seulement. Et mon blog, alors ? Les gens ne considèrent pas, n'honorent pas encore assez ce support. C'est vrai qu'on y trouve le tout-va. Et plutôt que de faire le tri... Bref. On y viendra, j'espère. Pour ma part, j'écris plein de choses (en grande partie audiovisuellement) dont, malgré mon impatience et mon envie de partage, je me réserve la publication. C'est con, mais peut-être pas tant que ça. J'attends le bon moment, le kaïros... au risque de le rater, par définition. Enfin, plus modestement, et orgueilleusement, je veux pas mélanger ce que je fais à tout ce flot culturel abruti. Donc j'attends de trouver une voie de publication un peu plus noble, ou qu'elle s'invente, tout simplement — et ça viendra. J'attends, et j'y concours un peu, à mon humble niveau. Mais pour l'instant je travaille surtout dans mon coin, en secret, ou en publication très confidentielle, mais (...) depuis des années. Deleuze : « Je sens venir (...) l’âge proche d’une clandestinité moitié volontaire et moitié contrainte, qui sera le plus jeune désir, y compris politique. »
G — et alors, c'est quoi ce blog ?
— [Eh bien,] c'est un blog que je tiens depuis trois ans. Et d'arrache-pied depuis un an et demi. C'est un travail colossal, et même trop pour les lecteurs — surtout retardataires. (...) En tout cas, c'est un blog qui formule ma pensée, par touches, fragments, audiovisuels ou textuels. Les premiers me demandant 100 fois plus de travail que les seconds. Mais pour quelle révolution d'expression !... Encore tout à fait méconnue, d'avant-garde. Comme moi. Sauf que... un jour... ou l'autre... comme toujours, quoi !...
(...)
Et si tu t'y intéresses complètement, il y a 3 années d'autopublication à écumer !... (Ha !...) où l'expression de ma pensée s'y déploie indéfiniment, et avec quelque retard, depuis toujours, mais s'aggravant depuis ce projet de livre éventuel (...). (...) Car j'y ai encore une tonne de choses à formuler. Dont une bien chère part est d'ailleurs concrètement en chantier, parfois depuis des mois, un an, sinon plus ! Et que j'aimerais tellement « terminer ».
P — (...) Ces derniers temps, je convainc de plus en plus de gens de se mettre à la contre-histoire philo de Onfray et quand ils ont mordu je les oriente vers d'autres sources, Deleuze, Otto karl, Bergson, etc.
C'est assez rigolo de voir les retours du genre: j'ai écouté une morale anarchique [P. Kropotkine]... ca devrait être enseigné... comment ne pas être d'accord, en tout cas c'est mon point de vue!!
ps: ne connais pas otto karl mais me rencarde
— Tout à ton honneur. Et au mien ! On peut se serrer la main. Ceci étant, je crois pas qu'ils iront très loin, hélas, car il faudrait être tellement passionné*... Aussi passionné que je le suis, peut-être. De tout ça. (...) Et malheureusement (pour nous tous!) je crois bien observer qu'une telle passion est... d'une telle rareté, dans les rues courantes. Je demanderais même pas à ce qu'ils m' « intel-lisent », si déjà ils com-prenaient, c'est-à-dire vivaient! en onfrayiens ou deleuziens, et si possible en synthèse des deux, comme j'y tends... et y travaille.
(O.k. - dialogues avec jactari, gilles, phdam's)
* cf. oeuvrécriture
cf. nordexpress.blog
cf. les philosoph(i)es clandesti-né(e)s
cf. sur/de mes postréalisations
cf. con sidération
manque de philosophie
... Enfin, la vie ça s'apprend, aussi, et depuis quelque temps je finis par comprendre que... on est pas tous pareils. (Ha!) Tout le monde n'aspire pas à la philosophie. (...) J'ai pensé, longtemps. (...) Enfin, je sais pas si un jour je comprendrai qu'on puisse vouloir se dispenser de philosophie — pratique, bien sûr. Pour moi, c'est infiniment mystérieux, c'est comme vouloir être malheureux. Chercher à l'être, pour voir comment ça fait. Ou alors, s'accommoder de l'être, sans lever le petit doigt ; en attendant la mort, que ça s'arrête enfin ; pour voir. Bref, bref. Un jour, peut-être...
(O.k. - réponse à adèle)
D — (...) Et vraiment, j'ai pas dû l'appréhender assez franchement, mais la philosophie ne m'est d'aucune aide, dans ces moments.
— C'est qu'en effet tu n'as « pas dû l'appréhender assez franchement », comme tu dis. Ou pas la bonne. Celle qui sauve, de tout. Des noms? Spinoza, deleuze... Mais ensuite, tout dépend de ton tempérament philosophique. À chacun correspond une attitude philosophique, ou une synthèse d'attitudes, mais il y a des grandes voies/voix. Tu serais plutôt tendance socratique, épicurienne, stoïcienne, platonicienne, sceptique, aristotélicienne, cynique ? (que recoupent les philosophies non-occidentales). Et j'ajouterais, car elles se sont faites irréductibles à ces courants : spinoziste, nietzschéenne, deleuzienne, ottokarlienne ? À toi de savoir, de trouver. Même par toi-même. Mais trouver une cohérence d’approche, une cohérence philosophique.
D — Peut-être après, une fois que le réel est passé.
— Ah, c'est trop tard! d'une certaine façon. La philosophie sert justement à se pré-munir de ça.
D — Mais avant, pfff, y a tant de paramètres...
— À moins de les réduire à un seul, ou quelques-uns. Et c'est ça, la philosophie. Très précisément. Et tout se simplifie.
D - (...) Et là, je sens son absence [à untelle] comme un être en soi. Je tenais plutôt bon, mais je me sens vraiment faiblir, là.
— En partie, mais déterminante, par manque de vie alentour. Et parce que tu t'y es mal pris à la base, par manque de philosophie, justement. J'ai pas cessé de te le dire, mais je sentais que c'était trop tard, tu étais pris, et volontiers, même, à t'y rouler ; et pas préparé. Mais bon... C'est peut-être que je l'ai été trop tard moi-même, en quelque sorte, sans prétendre l'être tout à fait aujourd'hui. (Et de toute façon tu n'es pas passé ici (...). Alors qu’est-ce que je pouvais faire ?)
D — Hâte que ça passe.
— Rah, putain... Saleté d'université, qui ne forme à rien du tout, d'essentiel, de salvateur ! Il y a certains philosophes pour ça, mais encore faut-il y (re)trouver assez d'intérêt, ou plutôt d'abord l'énergie d'aller y com-prendre quelque chose, sinon l'essentiel. Et je te promets que ça s'y trouve. Avec deleuze maintenant je suis sûr de ça ; avec moi seul, je me sentais un peu seul, mais j'ai trouvé un allié. (Et tchouang-tseu? que je connais pas encore assez, mais je crois que c'est un bon coup.)
Bref...
D'ailleurs je prépare un truc, là, depuis une semaine, qui pourrait te faire comprendre qqch, te faire saisir PEUT-ÊTRE! un tant soit peu ta mauvaise approche... Mais je sais pas quand ce sera fini. Enfin, merde, presque tout est déjà exprimé sur nordexpress. Mais c'est pas le tout de le lire une fois, évidemment. Ça passe complètement à côté de ce qu'est la philosophie, ça, ne lire qu'une seule fois. La philosophie c'est pas juste de l'information, c'est de la formation ! C'est fondamental de le comprendre, ça. C'est pas en claquant des doigts...
« Il est vrai aussi », comme dit pierre hadot, « que l'exposé théorique ne peut être complet si l'auditeur ne fait pas en même temps un effort intérieur... »
Et c'est pas le tout d'être d'accord ou pas, d'y « souscrire » ou que sais-je. Le même pierre hadot distingue deux choses :
« L'assentiment notionnel, c'est l'acceptation d'une proposition théorique à laquelle on adhère d'une manière abstraite, comme une proposition mathématique, 2 et 2 font 4. Cela n'engage à rien, c'est purement intellectuel. [L'assentiment réel], c'est quelque chose qui engage tout l'être : on comprend que la proposition à laquelle on adhère va changer notre vie. (...) Pour arriver à cet assentiment réel, il faut utiliser l'imagination, les raisonnements aussi, et toute une discipline psychologique. »
« Et qui est », ferais-je ajouter à deleuze, « comme une découverte vitale, une certitude de la vie, qui change la manière de vivre si l’on s’y accroche vraiment. »
Voilà. Mais bon. Tu as fait, si j'ose dire, tes "choix", pour en arriver là, et on apprend aussi comme ça. Mais à quel prix ! Moi c'est de ce prix-là que je veux faire l'économie et m'y emploie, de plus en plus. Donc construire sa ligne (brisée) de joie ! Je suis en train. Mais c'est du boulot, ça. Et en amont ! Pas en aval, quand on dévale...
Enfin, je pense que tu pourrais encore réagir, pour atténuer les effets. Ça demanderait une conversion de ta perspective. Et pour ça, lecture assidue de deleuze (ou d'ottokarl, qui prépare ENCORE qqch DE PLUS... qui pourrait ÉVENTUELLEMENT! t'aider d'un chouia. Trop tard, mais... Qui sait...)
(...)
D — Après, ouais, je vois tout à fait le problème d'assentiment. J'ai parfois eu l'impression qu'il était réel, mais assez rarement. L'assentiment, réel, l'est de fait, avec les phénomènes.
— Mais c'est trop tard. Tu te retrouves balloté par les effets. Donc passivité, et tristesse, ou joie, mais par hasard, sans maîtrise, sans cette maîtrise qui ferait dire que tu « possèdes ta puissance », et là, dans ce cas, c'est la joie. Mais tout ça sera suggéré et rappelé dans ce truc parmi 50 que je prépare ; et te prépare en particulier, donc. (Sans grand espoir d'un effet immédiat, à force, mais un jour, qui sait... Et je le fais en tout cas pour moi aussi.)
D — Et puis il y a toujours cette impression que tu [otto karl] n'es pas toi-même tant dans la vie que ça, mais bien plus dans la philosophie, justement.
— Haha ! Comment tu dissocies, toi ? (C'est justement de les dissocier qui montre ton incompréhension de la chose, de son intérêt, de l'intérêt que ça peut avoir.) Bref, indissociable. Et : tu es venu me rendre visite [dans ma « retraite »]** ?
D - Et que ça paraît bien plus simple, à travers ce prisme, plutôt que de se lancer.
— Mais de se lancer où ? Ça sert à quoi ? Justement, quand on vit à travers la philosophie, il s'agit pas d'avoir une vie folle, mais une vie d'intensité, où qu'on soit, quoi qu'on fasse. Une vie intensive, plutôt qu'extensive*. Ne pas confondre. Et si toi tu cherches la vie folle à tout prix, alors effectivement il y a plus rien à dire. Plus de philosophie. Il y a plus qu'à assumer. Et même assumer reviendrait à la philosophie. Non, là ce qui est non-philosophique et donc malheureux (pour tout le monde!) ce serait de chercher la vie folle sans en assumer vraiment les conséquences (cosmo)logiques, sans « être digne de ce qui nous arrive », dirait deleuze. Alors là ça fait chier tout le monde.
D — Je veux dire : tu es plutôt en retraite / retrait, non ?
— (...) [c'est] ma vallée de l'ascèse à moi. Philosophique. Et tu t'es jamais demandé pourquoi, pour quoi faire ? et si tu n'en aurais pas besoin toi-même, d'un tel passage, d'une telle période, d'une telle expérience (d'anachorèse), d'une telle (auto/otto)formation ? Et à plus forte... de plus en plus forte raison, il me semble.
Enfin bref, tu crois savoir quelle est ma vie, sur l'idée que tu t'en fais, de loin, dans l'espace, et dans le temps.
Je suis venu ici pour m'améliorer encore d'un bon cran. Et il me semble bien que c'est le cas. Même s'il me reste du chemin. Et quand je redescendrai dans le monde (pense à zarathoustra, toute proportion gardée), je me retrouverai confronté sans doute (et sans doute) à tous ces gens égarés... comme des zombies... à faire peur. C'est ça! qui fait le plus peur : tout ce qui m'entoure, de non-philosophique. C'est bien là qu'est l'enfer, et le danger. Et la philosophie sert même jusqu'à l'accepter. Ce sera peut-être le cran d'après, mais sur lequel j'avance déjà.
(O.k. - dialogue avec d.)
* intensive : Qui a la plénitude de l’être. / Se dit d’une grandeur physique indépendante de la quantité de matière présente dans l’échantillon.
extensive : Qui étend, qui fait effort pour étendre. / Se dit d'une grandeur physique qui dépend de la quantité de matière présente dans l'échantillon.
** Et j'avais déjà pensé à ça : que tu passes vivre ici une semaine, en suivant... épousant mon rythme, pour voir. Expérimenter. Comme dit deleuze : expérimentez, n'interprétez jamais. (...) Que tu te fasses, plutôt qu’une idée, une expérience. Une semaine c'est évidemment pas assez long pour un effet de fond, mais pour une légère impulsion ? Même à retardement. Le temps que ça mûrisse. Non pas pour faire pareil que moi (comment voudrais-tu que ça te convienne en propre ; on en est loin, même !), mais t'en trouver de la graine, en faire ton propre miel. Un jour... (pas forcément immédiat, encore une fois, sauf miracle ! Mais il y en a pas. Tout est long travail. Du moins, tout ce qui est valable.)
cf. entres les sages et les autres : le philosophe
cf. attitude philosophique universelle
cf. désertic
cf. le dommage et l'entrouverture
(O.k. - réponse à adèle)
D — (...) Et vraiment, j'ai pas dû l'appréhender assez franchement, mais la philosophie ne m'est d'aucune aide, dans ces moments.
— C'est qu'en effet tu n'as « pas dû l'appréhender assez franchement », comme tu dis. Ou pas la bonne. Celle qui sauve, de tout. Des noms? Spinoza, deleuze... Mais ensuite, tout dépend de ton tempérament philosophique. À chacun correspond une attitude philosophique, ou une synthèse d'attitudes, mais il y a des grandes voies/voix. Tu serais plutôt tendance socratique, épicurienne, stoïcienne, platonicienne, sceptique, aristotélicienne, cynique ? (que recoupent les philosophies non-occidentales). Et j'ajouterais, car elles se sont faites irréductibles à ces courants : spinoziste, nietzschéenne, deleuzienne, ottokarlienne ? À toi de savoir, de trouver. Même par toi-même. Mais trouver une cohérence d’approche, une cohérence philosophique.
D — Peut-être après, une fois que le réel est passé.
— Ah, c'est trop tard! d'une certaine façon. La philosophie sert justement à se pré-munir de ça.
D — Mais avant, pfff, y a tant de paramètres...
— À moins de les réduire à un seul, ou quelques-uns. Et c'est ça, la philosophie. Très précisément. Et tout se simplifie.
D - (...) Et là, je sens son absence [à untelle] comme un être en soi. Je tenais plutôt bon, mais je me sens vraiment faiblir, là.
— En partie, mais déterminante, par manque de vie alentour. Et parce que tu t'y es mal pris à la base, par manque de philosophie, justement. J'ai pas cessé de te le dire, mais je sentais que c'était trop tard, tu étais pris, et volontiers, même, à t'y rouler ; et pas préparé. Mais bon... C'est peut-être que je l'ai été trop tard moi-même, en quelque sorte, sans prétendre l'être tout à fait aujourd'hui. (Et de toute façon tu n'es pas passé ici (...). Alors qu’est-ce que je pouvais faire ?)
D — Hâte que ça passe.
— Rah, putain... Saleté d'université, qui ne forme à rien du tout, d'essentiel, de salvateur ! Il y a certains philosophes pour ça, mais encore faut-il y (re)trouver assez d'intérêt, ou plutôt d'abord l'énergie d'aller y com-prendre quelque chose, sinon l'essentiel. Et je te promets que ça s'y trouve. Avec deleuze maintenant je suis sûr de ça ; avec moi seul, je me sentais un peu seul, mais j'ai trouvé un allié. (Et tchouang-tseu? que je connais pas encore assez, mais je crois que c'est un bon coup.)
Bref...
D'ailleurs je prépare un truc, là, depuis une semaine, qui pourrait te faire comprendre qqch, te faire saisir PEUT-ÊTRE! un tant soit peu ta mauvaise approche... Mais je sais pas quand ce sera fini. Enfin, merde, presque tout est déjà exprimé sur nordexpress. Mais c'est pas le tout de le lire une fois, évidemment. Ça passe complètement à côté de ce qu'est la philosophie, ça, ne lire qu'une seule fois. La philosophie c'est pas juste de l'information, c'est de la formation ! C'est fondamental de le comprendre, ça. C'est pas en claquant des doigts...
« Il est vrai aussi », comme dit pierre hadot, « que l'exposé théorique ne peut être complet si l'auditeur ne fait pas en même temps un effort intérieur... »
Et c'est pas le tout d'être d'accord ou pas, d'y « souscrire » ou que sais-je. Le même pierre hadot distingue deux choses :
« L'assentiment notionnel, c'est l'acceptation d'une proposition théorique à laquelle on adhère d'une manière abstraite, comme une proposition mathématique, 2 et 2 font 4. Cela n'engage à rien, c'est purement intellectuel. [L'assentiment réel], c'est quelque chose qui engage tout l'être : on comprend que la proposition à laquelle on adhère va changer notre vie. (...) Pour arriver à cet assentiment réel, il faut utiliser l'imagination, les raisonnements aussi, et toute une discipline psychologique. »
« Et qui est », ferais-je ajouter à deleuze, « comme une découverte vitale, une certitude de la vie, qui change la manière de vivre si l’on s’y accroche vraiment. »
Voilà. Mais bon. Tu as fait, si j'ose dire, tes "choix", pour en arriver là, et on apprend aussi comme ça. Mais à quel prix ! Moi c'est de ce prix-là que je veux faire l'économie et m'y emploie, de plus en plus. Donc construire sa ligne (brisée) de joie ! Je suis en train. Mais c'est du boulot, ça. Et en amont ! Pas en aval, quand on dévale...
Enfin, je pense que tu pourrais encore réagir, pour atténuer les effets. Ça demanderait une conversion de ta perspective. Et pour ça, lecture assidue de deleuze (ou d'ottokarl, qui prépare ENCORE qqch DE PLUS... qui pourrait ÉVENTUELLEMENT! t'aider d'un chouia. Trop tard, mais... Qui sait...)
(...)
D — Après, ouais, je vois tout à fait le problème d'assentiment. J'ai parfois eu l'impression qu'il était réel, mais assez rarement. L'assentiment, réel, l'est de fait, avec les phénomènes.
— Mais c'est trop tard. Tu te retrouves balloté par les effets. Donc passivité, et tristesse, ou joie, mais par hasard, sans maîtrise, sans cette maîtrise qui ferait dire que tu « possèdes ta puissance », et là, dans ce cas, c'est la joie. Mais tout ça sera suggéré et rappelé dans ce truc parmi 50 que je prépare ; et te prépare en particulier, donc. (Sans grand espoir d'un effet immédiat, à force, mais un jour, qui sait... Et je le fais en tout cas pour moi aussi.)
D — Et puis il y a toujours cette impression que tu [otto karl] n'es pas toi-même tant dans la vie que ça, mais bien plus dans la philosophie, justement.
— Haha ! Comment tu dissocies, toi ? (C'est justement de les dissocier qui montre ton incompréhension de la chose, de son intérêt, de l'intérêt que ça peut avoir.) Bref, indissociable. Et : tu es venu me rendre visite [dans ma « retraite »]** ?
D - Et que ça paraît bien plus simple, à travers ce prisme, plutôt que de se lancer.
— Mais de se lancer où ? Ça sert à quoi ? Justement, quand on vit à travers la philosophie, il s'agit pas d'avoir une vie folle, mais une vie d'intensité, où qu'on soit, quoi qu'on fasse. Une vie intensive, plutôt qu'extensive*. Ne pas confondre. Et si toi tu cherches la vie folle à tout prix, alors effectivement il y a plus rien à dire. Plus de philosophie. Il y a plus qu'à assumer. Et même assumer reviendrait à la philosophie. Non, là ce qui est non-philosophique et donc malheureux (pour tout le monde!) ce serait de chercher la vie folle sans en assumer vraiment les conséquences (cosmo)logiques, sans « être digne de ce qui nous arrive », dirait deleuze. Alors là ça fait chier tout le monde.
D — Je veux dire : tu es plutôt en retraite / retrait, non ?
— (...) [c'est] ma vallée de l'ascèse à moi. Philosophique. Et tu t'es jamais demandé pourquoi, pour quoi faire ? et si tu n'en aurais pas besoin toi-même, d'un tel passage, d'une telle période, d'une telle expérience (d'anachorèse), d'une telle (auto/otto)formation ? Et à plus forte... de plus en plus forte raison, il me semble.
Enfin bref, tu crois savoir quelle est ma vie, sur l'idée que tu t'en fais, de loin, dans l'espace, et dans le temps.
Je suis venu ici pour m'améliorer encore d'un bon cran. Et il me semble bien que c'est le cas. Même s'il me reste du chemin. Et quand je redescendrai dans le monde (pense à zarathoustra, toute proportion gardée), je me retrouverai confronté sans doute (et sans doute) à tous ces gens égarés... comme des zombies... à faire peur. C'est ça! qui fait le plus peur : tout ce qui m'entoure, de non-philosophique. C'est bien là qu'est l'enfer, et le danger. Et la philosophie sert même jusqu'à l'accepter. Ce sera peut-être le cran d'après, mais sur lequel j'avance déjà.
(O.k. - dialogue avec d.)
* intensive : Qui a la plénitude de l’être. / Se dit d’une grandeur physique indépendante de la quantité de matière présente dans l’échantillon.
extensive : Qui étend, qui fait effort pour étendre. / Se dit d'une grandeur physique qui dépend de la quantité de matière présente dans l'échantillon.
** Et j'avais déjà pensé à ça : que tu passes vivre ici une semaine, en suivant... épousant mon rythme, pour voir. Expérimenter. Comme dit deleuze : expérimentez, n'interprétez jamais. (...) Que tu te fasses, plutôt qu’une idée, une expérience. Une semaine c'est évidemment pas assez long pour un effet de fond, mais pour une légère impulsion ? Même à retardement. Le temps que ça mûrisse. Non pas pour faire pareil que moi (comment voudrais-tu que ça te convienne en propre ; on en est loin, même !), mais t'en trouver de la graine, en faire ton propre miel. Un jour... (pas forcément immédiat, encore une fois, sauf miracle ! Mais il y en a pas. Tout est long travail. Du moins, tout ce qui est valable.)
cf. entres les sages et les autres : le philosophe
cf. attitude philosophique universelle
cf. désertic
cf. le dommage et l'entrouverture
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