N'en jetons presque plus ! Trions, reprenons, détournons. L'essentiel est presque bien dit et redit, en long, en large... Reprenons serré, de travers, à travers. Par les moyens d'avenir du présent. Pour le présent de l'avenir. (OTTO)KARL
Lucrèce Es-tu bien sûr que rien ne puisse être par soi, sans cause, sans raison, sans fin qui le précède? Tityre Bien sûr. Lucrèce Rêves-tu quelquefois ? Tityre Avant toutes les aubes. Lucrèce (...) Mais tes rêves, Tityre, sont-ils de quelque prix? Valent-ils au réveil d'avoir été rêvés ? Tityre Il en est de si beaux ... Il en est de si vrais !... Il en est de divins ... et d'autres tout sinistres...(...) il en est de cruels d'avoir été trop doux : tel bonheur se déchire au moment qu'il me comble, et m'abandonne au jour sur la rive du vrai... (...) Lucrèce Ainsi tu n'étais donc que spectateur contraint à subir le spectacle. Mais qui, dis-moi, qui donc est l'auteur de ce drame ? Tityre L'auteur, je n'en sais point. Je ne trouve personne. Lucrèce Toi? Tityre Assurément pas moi car ces jeux du sommeil ne peuvent se former que je ne sois exclu de leurs arrangements : sans quoi, point de terreur, de surprise ou de charmes. Lucrèce Il n'y a donc point d'auteur. Tu le vois bien Tityre ; une oeuvre sans auteur n'est donc point impossible. Nul poète pour toi n'ordonna ces phantasmes, et toi-même n'aurait jamais tiré de toi ni ces délices, ni ces abîmes de tes songes... Point d'auteur... Il est donc des choses qui se forment d'elles-mêmes, sans cause, et se font leur destin... C'est pourquoi je rejette aux besoins enfantins de l'esprit des mortels la logique ingénue qui veut trouver en tout un artiste et son but, bien distincts de l'ouvrage. L'Homme, naïf devant toute chose qu'il voit, sur terre ou dans les cieux, astres, bêtes, saisons, apparences de règles, semblant de prévoyance heureuse ou d'harmonie interroge : Qui fit ceci ? Qui l'a voulu ? Croyant qu'il doit tout comparer à ces quelques objets qui sortent de nos mains : nos vases, nos outils, nos demeures, nos armes, à tous ces composés de matière et d'esprit qu'enfantent nos besoins... Tityre Mais toi, penses-tu mieux saisir la nature des choses ? Lucrèce Je tente d'imiter le mode indivisible... O Tityre, je crois que dans notre substance se trouve à peu de profondeur la même puissance qui produit mêmement toute vie. Tout se qui naît dans l'âme est la nature même... Tityre Quoi? tout ce qui nous vient serait essentiel ? Lucrèce Non tout ce qui nous vient, mais bien ce venir même. Je te le dis, Tityre, entre tout ce qui vit existe un lien secret, une similitude, qui engendre aussi bien la haine que l'amour. Le semblable caresse ou dévore un semblable. Soit qu'il mange l'agneau, soit qu'il couvre la louve, le loup ne peut que faire ou refaire du loup.
Lucrèce
RépondreSupprimerEs-tu bien sûr que rien ne puisse être par soi, sans cause, sans raison, sans fin qui le précède?
Tityre
Bien sûr.
Lucrèce
Rêves-tu quelquefois ?
Tityre
Avant toutes les aubes.
Lucrèce
(...) Mais tes rêves, Tityre, sont-ils de quelque prix? Valent-ils au réveil d'avoir été rêvés ?
Tityre
Il en est de si beaux ... Il en est de si vrais !... Il en est de divins ... et d'autres tout sinistres...(...) il en est de cruels d'avoir été trop doux : tel bonheur se déchire au moment qu'il me comble, et m'abandonne au jour sur la rive du vrai... (...)
Lucrèce
Ainsi tu n'étais donc que spectateur contraint à subir le spectacle. Mais qui, dis-moi, qui donc est l'auteur de ce drame ?
Tityre
L'auteur, je n'en sais point. Je ne trouve personne.
Lucrèce
Toi?
Tityre
Assurément pas moi car ces jeux du sommeil ne peuvent se former que je ne sois exclu de leurs arrangements : sans quoi, point de terreur, de surprise ou de charmes.
Lucrèce
Il n'y a donc point d'auteur. Tu le vois bien Tityre ; une oeuvre sans auteur n'est donc point impossible. Nul poète pour toi n'ordonna ces phantasmes, et toi-même n'aurait jamais tiré de toi ni ces délices, ni ces abîmes de tes songes... Point d'auteur... Il est donc des choses qui se forment d'elles-mêmes, sans cause, et se font leur destin... C'est pourquoi je rejette aux besoins enfantins de l'esprit des mortels la logique ingénue qui veut trouver en tout un artiste et son but, bien distincts de l'ouvrage. L'Homme, naïf devant toute chose qu'il voit, sur terre ou dans les cieux, astres, bêtes, saisons, apparences de règles, semblant de prévoyance heureuse ou d'harmonie interroge : Qui fit ceci ? Qui l'a voulu ? Croyant qu'il doit tout comparer à ces quelques objets qui sortent de nos mains : nos vases, nos outils, nos demeures, nos armes, à tous ces composés de matière et d'esprit qu'enfantent nos besoins...
Tityre
Mais toi, penses-tu mieux saisir la nature des choses ?
Lucrèce
Je tente d'imiter le mode indivisible... O Tityre, je crois que dans notre substance se trouve à peu de profondeur la même puissance qui produit mêmement toute vie. Tout se qui naît dans l'âme est la nature même...
Tityre
Quoi? tout ce qui nous vient serait essentiel ?
Lucrèce
Non tout ce qui nous vient, mais bien ce venir même.
Je te le dis, Tityre, entre tout ce qui vit existe un lien secret, une similitude, qui engendre aussi bien la haine que l'amour. Le semblable caresse ou dévore un semblable. Soit qu'il mange l'agneau, soit qu'il couvre la louve, le loup ne peut que faire ou refaire du loup.
Extrait de Dialogue de l'Arbre, de Paul Valéry
L.C.